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Juhani Aho (1861-1921) -écrivain

Juhani Aho est non seulement le premier écrivain professionnel de l'histoire littéraire de la Finlande, celui qui traduira en finnois plusieurs grands classiques français, mais surtout celui par lequel la modernité et le scandale pénètreront dans la littérature des pays scandinaves. Aho est un écrivain néo-romantique qui produira une oeuvre émancipatrice, notamment du point de vue des codes bourgeois qui régissent la morale amoureuse. Dans sa nouvelle "Seul" de 1890, Aho propose un récit largement autobiographique, qui décrit l'histoire de l'amour impossible qu'éprouve notre narrateur, presque quadragénaire, pour une toute jeune femme, Anna, encore adolescente... Notre pauvre dandy, qui se pique de littérature, et dont l'âme est plus romantique que romanesque, est le meilleur ami du grand frère d'Anna, ce qui l'amène à séjourner auprès d'elle dans la demeure familiale comme sur les lieux de leurs différentes villégiatures. "L'ami de la famille" a d'abord fait sauter cette petite fille sur ses genoux lorsqu'elle n'était encore qu'une enfant, il a partagé ses rires et ses jeux, il l'a parfois raccompagnée à la maison après l'école. Un beau jour, la petite fille est devenue une toute jeune femme, déjà complice, déjà compagne, depuis tant d'années de rires innocents, de tendresse partagée et de souvenirs communs... Il n'en faut évidemment pas davantage chez notre homme pour qu'opère la cristallisation du sentiment amoureux, si précisément décrite par Stendhal en 1822 dans son petit traité "De l'amour". Il ne s'agit vraisemblablement dans cette nouvelle de Aho, que d'une variation d'apres le modele stendhalien, dont Aho a sans doute eu connaissance, mais dont les caractéristiques propres sont, d'une part, que cet amour n'a jamais été consommé, ne serait-ce que du bout des lèvres, et, d'autre part, qu'il n'est même pas permis à notre amoureux transi de s'appuyer sur le moindre indice un tant soit peu révélateur d'une éventuelle réciprocité de son sentiment... Il nous est donc possible de considérer qu'Aho étend la théorie stendhalienne à toute situation où l'esprit en proie au sentiment amoureux se met à déraisonner, du fait du caractère d'abord incertain, puis impossible, de son attente... (Mais le Werther de Goethe n'était-il pas déjà soumis aux mêmes affres, celles-là mêmes qui le conduiront au suicide final?)

La cristallisation du sentiment amoureux chez notre anti-heros, dont l'âme est littéralement ravagée par l'incertitude, prend la forme d'une aliénation cyclothymique qui entraîne une perte de repères considérable: rien ne fait plus sens, si ce n'est la folie des scénarii et les inductions, dignes d'un mauvais détective, auxquelles se livre cet esprit en proie à la torture à chaque fois qu'il s'abandonne à suivre tel ou tel indice ou hypothèse... La souffrance se fait alors obsessionnelle. L'amoureux croit en un nouveau dieu: sa souffrance elle-même, à laquelle il attribue un pouvoir quasi magique... Mais aucune souffrance n'a jamais pu rendre amoureuse, ni par magie ni par pitié, celle pour laquelle on souffre. L'amoureux souffre toujours pour rien, par aliénation, par aveuglement, pour témoigner inutilement de la force de sa passion. Aimer, c'est toujours vouloir se perdre.

Notre jeune femme, Anna, sans doute très déçue et embarrassée d'avoir à perdre l'amitié d'un grand frère, fera ce qu'elle s'était promis de ne point faire: des fiançailles avec un autre, plutôt conclues rapidement, et qui témoignent d'une autre aliénation, d'une autre folie, d'un autre besoin, celui du mimétisme de la normalité, celui des premiers galons de l'existence.

On n'aime chez l'autre que ce qui nous manque.

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Nous reproduisons ci-dessous les principaux éléments de la théorie stendhalienne de la première cristallisation amoureuse: (que nous empruntons au site EspaceFrançais .com )

 

Voici ce qui se passe dans l'âme :

1- l'admiration

2- on se dit : " quel plaisir de lui donner des baisers, d'en recevoir ! etc. "

3- l'espérance (...)

4- l'amour est né (...)

5- la première cristallisation commence.

On se plaît à orner de mille perfections une femme de laquelle on est sûr ; on se détaille tout son bonheur avec une complaisance infinie. Cela se réduit à exagérer une propriété superbe, qui vient de nous tomber du ciel, que l'on ne connaît pas, et de la possession de laquelle on est assuré. Laissez travailler la tête d'un amant pendant vingt-quatre heures, et voici ce que vous trouverez :

Aux mines de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau d'arbre effeuillé par l'hiver ; deux ou trois mois après, on le retire couvert de cristallisations brillantes : les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que la taille d'une mésange, sont garnies d'une infinité de diamants mobiles et éblouissants ; on ne peut plus reconnaître le rameau primitif. Ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections. (...) En un mot, il suffit de penser à une perfection pour la voir dans ce qu'on aime (...)

6- Le doute naît (...) L'amant arrive à douter du bonheur qu'il se promettait, il devient sévère sur les raisons d'espérer qu'il a cru voir. Il veut se rabattre sur les autres plaisirs de la vie. Il les trouve anéantis. La crainte d'un affreux malheur le saisit et avec elle, toute l'attention profonde.

 

 

Tag(s) : #Littérature, #Psychologie
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