Pour mon amie Vaea Sylvain,
Avec toute ma reconnaissance et mon affection.
Vaea Sylvain peint des hommes qui n'existent pas, qui ne s'existent pas. Vaea peint l'impossibilité d'exister. Le pullulement, la reproduction de la silhouette humaine. Des mannequins anonymes, des sans âmes, des égarés en troupeaux qui déferlent et envahissent l'espace. Des hommes de bétons, des figurants, des figurines. Des fantômes, des morts-vivants partout dans la ville. L'homme-rat n'est devenu qu'une multitude.
L'obsession est géométrique. L'image de soi est contrainte.
Profondeur de l'angoisse, contraste en noir et blanc, superficialité de l'ego.
Les traits ont l'épaisseur de la solitude.
L'homme seul se repaît du néant, et en fait une prière contre lui, un verdict contre les hommes.
Vaea peint des êtres qui ne savent pas, qui ne savent pas ce qu'ils font là, qui ne savent pas ce qu'il faut faire.
Ne pas chercher au-delà de l'angoisse, ne pas chercher au-delà de l'énigme.
Vivre mystérieusement, pour un rien.
Vivre simplement, pour un tout.
Il y a dans les plis du sommeil
Une femme
Comme une étoffe de peau et de silence
Un oubli qui la recouvre
Car personne ne sait qui elle est.
Personne. Recroquevillée.
Mais demain, oh demain...
Les draps seront défaits, et l'étoffe du temps aura glissé sur elle.
Peindre l'oubli. Peindre le silence.
Froissements de visages
Froissements de pensées
La fête a laissé
Des cadavres de tissus.
Qu'est-il advenu
De cette joie? De cet amour? De ce regard?
Sous le masque, la nudité disparue
Enchevêtrée
Des corps nus
Sans amour, sans mystère.
Et moi qui aime et toi qui aimes
Tous les fantômes du désir
La bouche bleue du regret
L'homme, la femme,
Au carnaval du néant
En habits d'être et de ne pas être.
Ne plus jouer, quitter la scène
Regarder encore le bleu
De cette bouche
Je n'ai pas pu l'embrasser
Qui était-elle?
Je l'aurais aimée, je le sais.
J'aime la couleur bleue
Des temps impossibles
Rêves froissés, âmes sans visages
Lettres mortes de l'apparence
La solitude des désirs secrets
Amoncelés en pleine lumière.
« Il ne se passe pas de jours que nous menions à l’abattoir les plus purs de nos élans. » - Henry Miller.
Le cri de Vaea Sylvain a transpercé le corps de l'homme.
C'est un cri étouffé, meurtri, solitaire.
L'amour blessé se vide de son sang.
Il y a tant d'amours impossibles, tant d'amours contrariés, tant d'illusions.
Dire je t'aime est une folie interdite
Je préfèrerais...
Sentir, voir, toucher.
Oui, toucher
Mais dire, toujours dire. Déclarer.
La peur a déjà creusé en moi
Une béance où transitent tous les vents.
Mon cœur a déserté
J'habite une ruine, un château dévasté par le temps
Que personne n'assiège.
Bientôt les herbes folles recouvriront les meurtrières
Ne restera qu'une armure rouillée
Et les os blanchis de mon amour.
Qui prions-nous quand nous nous agenouillons devant le Dieu de la vie? Nous prions le hasard croyant prier le destin et nous prions le destin croyant prier le hasard.
Le hasard est synonyme de jeu avec la mort; le hasard, ça n'a pas de sens. Le hasard, comme la mort, sont nos maîtres suprêmes. La liberté est là, l'effrayante liberté, dont nous rêvons de faire quelque chose.
Mais comme il faut donner un sens à toute chose, la mort et la vie sont récupérées et figées en destin. Et nous exerçons notre imagination à vouloir nous marier au temps qui passe, comme si nous pouvions échanger avec lui des messages secrets.
Le destin: croire qu'un chemin a été suivi, qu'une direction a été empruntée.
Le Dieu de pierre est le ventriloque du destin. Même si personne ne parle, chacun entend les voix d'une farce grotesque; son mode d'emploi pendouille aux arbres du destin.
Aimer, c'est pour que la farce ne soit pas grotesque.
L'enfant viendra, il te fera mère, et le hasard s'inscrira en toi comme destin.
Le hasard prendra corps. La vie aura un visage, la mort semblera repoussée.
Le hasard est visage, tous les petits riens du hasard ont un visage qui implore.
Ils implorent et ils sont nos carrefours et nos bifurcations. Mais nous prenons souvent la ligne droite car il faut vivre, parce qu'il nous faut porter l'héritage de nous-même et l'aimer un peu.
La métamorphose nécessiterait l'autre. Mais je ne sais pas prier l'autre et tant que je suis à genoux je ne sais pas ce qu'est l'autre. Je voudrais qu'il vienne en moi par amour, par hasard, comme la mort et la naissance d'un destin. Mais l'autre, ce n'est pas cela. Il n'est pas là pour t'aider à avoir un destin, il n'est pas ton conte de fée. L'autre, c'est là où tu mets un peu de toi-même.
Mensonge à soi, mensonge aux divinités. L'autre ne compte pas. Seule l'obéissance compte. Nous avons refusé la plupart de nos hasards et nous prions surtout pour que tout cela ait un sens. Pauvre prière.
Agenouillée, nue, devant le sacré, tandis que le hasard pendouille des arbres.
Le Dieu de pierre est ventru, rien ne lui manque, il donnera le liquide séminal.
Entendez-le, il parle, il rit, il ventriloque.
Il se demande pourquoi toutes ces femmes nues se prosternent à ses pieds.
J'ai vu en rêve la clairière des amants au soleil couchant.
Entre terre et mer, là où la nature respire de chaque souffle,
Dans les vagues salines de la nature, au cœur de l'animale végétation,
J'ai vu leurs corps en lianes d'or s'abandonnant au luxe.
J'ai vu leur rêve de volupté, leur métamorphose sensorielle.
Le tableau a pris vie comme la chair de l'artiste. Vaea a vendu son âme à la nature.
C'est une offrande, un sacrifice, quelque chose va mourir, quelque chose va naître.
C'est un moment sacré hors de la cité, au-delà des dunes.
Tout s'exprime sensuellement. C'est une invitation à vivre, un partage des sens, un rite initiatique, un hymne à la beauté.
Tout embaume, tout respire, tout caresse.
Tout s'épouse en un souffle, la nature se frôle et se pénètre en harmonie.
Tout n'est qu'origines et orifices, tatouage indélébile de l'instant sublime.
Excitation, exaltation, expiation.
Chuchotements, halètements,
En un hurlement divin.
Dorénavant, tout ne sera que manque et supplice.
Encore.
Saveur envoûtante, unique et illicite, philtre amer, sucré, salé
Passion acide et pulpeuse, exotique et sauvage.
Allaitement, sexualité, fécondation de l'instant,
Fécondation du désir et du corps nu.
Passion charnelle, obsession, instinct.
Les sucs, les épices et les liqueurs du corps. L'enivrement le plus lucide.
Transe et fusion. Flux et reflux.
Corps vivants épuisés en une seule tension.
Eblouissement.