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Charlie Chaplin (1889-1977) - cinéaste "Les lumières de la ville"

Les lumières de la ville (1931)

 

Nous considérons "Les lumières de la ville" comme le plus beau film de l'histoire du cinéma muet, comme un chef d'oeuvre absolument sans égal, le seul peut-être où le rire, la tendresse et les larmes, l'intelligence et l'émotion, sont présents dans chaque séquence, dans chaque image, dans un équilibre et une harmonie, un mouvement et un rythme, d'une virtuosité époustouflante. 

En 1931, le cinéma parlant est déjà menaçant. Chaplin est un grand défenseur du muet. Il signe là son testament esthétique. Chaplin est au sommet de son art: "Les lumières de la ville" vise à montrer tout ce que le cinéma, en passant au parlant, va perdre d'intuition et de spontanéité, de présence et d'attention aux êtres et aux émotions, de malice et de tendresse, en focalisant dorénavant une partie de l'attention du spectateur sur ce qui est dit plutôt que sur ce qui est montré ou suggéré. Avec le cinéma parlant il s'agira de deviner la narration du film et la psychologie des personnages à travers les mots, à travers des répliques et des dialogues, plutôt qu'à travers les images et leurs successions. A richesse égale, le rythme et le mouvement propres à la parole ne sauraient être aussi dynamiques que ceux de l'image. Tout propos intelligent et sensible ralentira le mouvement et rendra le spectateur plus passif. Il ne s'agira plus en tous cas d'interpréter les seules images. Les dialogues deviendront des points d'arrêt du mouvement général. La parole tendra désormais vers la singularité des personnages là où le muet montrait un homme et une femme universels.

Le muet plaidait pour l'éternité, le parlant dira l'individualité éphémère. Le muet est mythique, mythologique, le parlant est historique et psychologique.

C'est avec les yeux que Charlot comprend que la jeune femme est aveugle et c'est parce qu'elle est aveugle qu'elle ne peut deviner la pauvre condition de son amoureux. Et c'est encore et toujours par l'image d'une portière de voiture qui claque qu'elle croit entendre le son de l'aisance si ce n'est celui de la richesse. Tel est le génie de la scène de la rencontre où chacun se méprend d'abord sur l'autre car ni la vue ni l'ouïe ne permettent de connaître l'autre. Magie du cinéma muet.

http://youtu.be/1bo866V7iOA

Mais il faut encore montrer et ressentir le coeur et la tendresse, qui sont d'autres signes, d'autres images, et que seules la dimension du temps, c'est-à-dire la fidélité à l'autre, et l'intimité du toucher, peuvent révéler. Aussi la scène finale poursuit le but presque inverse de celle de la première rencontre. Cette fois-ci la jeune fille voit avec ses yeux mais elle ne pourra voir avec le coeur qu'en ressentent le contact des mains de Charlot. Mais de son côté, Charlot ne peut plus cacher sa condition et il croit devoir à jamais passer son chemin et se réjouir dans la solitude de l'errance du bonheur qu'il a procuré à cette jeune fleuriste. Aussi ne prononce-t-il pas un mot afin de ne pas être reconnu. Mais un ultime élan de générosité de la jeune femme, la tendresse de ce noble coeur, mettra leurs mains en contact.

http://youtu.be/T4JvEkyIKhU

Chaplin accomplit ainsi à travers son art merveilleux la démonstration qui lui importait: l'image peut rendre compte des cinq sens, principalement de la vue, de l'ouïe et du toucher ainsi que des émotions, des sentiments et des comportements humains, dont la parole n'est finalement qu'une bien imparfaite traductrice. 

Comme le savaient les dramaturges grecs, on commence à voir lorsqu'on est aveugle, et comme l'enseignaient les sages de l'Orient, c'est en se taisant que l'on commence à écouter et à avoir une chance d'entendre.

Le crash boursier de 1927 a laissé des traces indélébiles dans la société américaine et il a surtout montré à l'Occident que l'humanité ne sait plus où elle va. Dans un tel monde où la richesse et le pouvoir, la loi et l'ordre, sont plus que jamais complices, Chaplin nous rappelle avec une élégance, une tendresse et un humour rares, que seuls le coeur et le rire sauveront l'homme de sa folie. Et si c'est bel et bien l'argent qui permet à la jeune femme de recouvrer la vue, c'est parce qu'il doit d'abord servir à cela, être un vecteur de générosité et d'amélioration de la condition humaine.

Le film débute par l'image forte et attendrissante de Charlot, c'est-à-dire un clochard, faisant un somme dans les bras de la statue symbolisant le pouvoir et les valeurs de la République. Il s'agit d'une inauguration, c'est-à-dire de l'une de ces innombrables cérémonies inutiles où le pouvoir se pâme et s'enorgueillit de ses trompeuses apparences, s'empiffrant de vanité dans son insondable vacuité. Et si la République accueille dans ses bras notre misérable Charlot, c'est pour mieux lui transpercer le derrière avec son glaive... 

Charlot fait encore un dernier pied de nez à tout cela: tout discours officiel est pompeux et grotesque, donc inaudible, tandis que le cinéma parlant court sans doute le risque du nombrilisme et du psychologisme.

http://youtu.be/oXrV8fOgzMM

Chaplin a inventé la tragédie la plus tendre, non pas une comédie, mais le chemin qui peut mener l'homme vers l'universelle tendresse, à travers un engagement artistique résolument humaniste. 

Seules les larmes, la tendresse et le rire sont éphémères et éternels.

Le film complet: http://youtu.be/TkF1we_DeCQ

Tag(s) : #Cinéma
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