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The Musketters of Pig Alley (Griffith-1912) ; Histoire du cinéma #34

Dans toute l'histoire du cinéma, Il n'est sans doute pas possible de citer un autre cinéaste que Griffith qui ait porté à l'écran autant de thèmes, dans tous les genres fictionnels, tout en inventant à chaque fois de nouveaux procédés narratifs, servis à chaque fois par une grammaire cinématographique parfaitement adaptée au sujet traité. C'est tout simplement prodigieux.

Avec The Musketters of Pig Alley (1912) , Griffith signe le premier film de gangsters du cinéma et il n'est pas excessif de dire qu'il invente le genre d'un seul coup et non par tâtonnements successifs. Le premier coup d'essai est un coup de maître. Si Griffith a eu du génie pour penser la narration cinématographique de tant de films différents, il a su aussi faire confiance à de nombreux acteurs et actrices dont il a lancé la carrière et qu'il a su diriger merveilleusement, mais aussi à des scénaristes qui lui ont parfois proposé des scripts originaux capables d'alimenter son insatiable curiosité artistique. Anita Loos (1888-1981) fut l'une des pionnières dans les histoires de gangsters (Douglas Fairbanks lui devra cinq films qui firent date) parce que son histoire personnelle l'avait portée dès ses plus jeunes années à s'intéresser "au ventre de la ville", à la vie des gens de toutes conditions, aux faits divers. Sa collaboration avec Griffith pour l'écriture de ce film lance non seulement le genre au cinéma, mais précède la littérature du "roman noir" américain de presque deux décennies, puisque les premiers romans de gangsters d'un Burnett ne seront publiés qu'à partir de 1929. Certes, les journaux des grandes villes américaines (les anciens tabloïds) avaient commencé à relater les faits divers et les drames sanglants des "bas-fonds" mais les romanciers ne s'étaient pas encore emparés de la réalité sociale de leurs mégapoles. Ainsi, historiquement, c'est le cinéma qui a encouragé la littérature à le suivre dans ce genre, avant que, plus tard encore dans les années 40, des romanciers comme Chandler se mettent justement à écrire des romans-scénario, contribuant avec beaucoup d'autres à l'avènement du film noir hollywoodien.     

Mais dans ce film, si l'intérêt pour la pègre provient sans doute de la culture populaire d'Anita Loos (dont le père dirigeait un journal qui relatait des faits dramatiques), c'est bel et bien Griffith qui crée le type du gangster au cinéma en choisissant la tête des truands (il aurait demandé à de vrais malfrats de participer au film!), en montrant leur démarche archétypale, leur progression en meutes, leurs regards, et jusqu'au port caractéristique du chapeau, mais en décrivant aussi leurs mobiles, leurs desseins et leurs passions coupables.

Au delà de la typologie du gangster qui aurait pu demeurer par trop statique (c'est le défaut d'un certain nombre de films du genre), le génie de Griffith est d'avoir su inventer une narration en mouvement, insidieuse, répétitive, louvoyante... Ces deux bandes de gangsters rivales (pour une jeune femme qui n'appartient ni à l'une ni à l'autre) se cherchent en rasant les murs, en pénétrant chacune à leur tour dans les mêmes lieux, empruntant les mêmes ruelles, en passant par les mêmes portes. La bande de gangsters a accès à tous les lieux, elle connaît tous les lieux publics comme les moindres passages obscurs, elle se montre à son aise partout : au bal, au café, en présence d'une femme ou d'un policier, la ruelle des cochons ne lui fait pas peur car elle porte partout ses codes sur elle. 

Le spectateur de l'époque n'était pas habitué à voir de telles hordes de petits malfrats traverser l'écran en file indienne derrière leur chef (les visages en très gros plans traversant le champ de la caméra comme pour venir semer la terreur parmi les spectateurs de la salle!) après avoir sinué tels des serpents après leur proie rasant les murs dans toute la ville... Manière de montrer que la malhonnêteté des bas-fonds est semblable à une liquidité nauséabonde qui peut se répandre dans toute la ville... La pègre est pareille à une maladie urbaine, à une gangrène qui corrompt tout ce qu'elle touche, et il est presque impossible de s'en tenir à l'écart dès lors que l'on doit vivre dans un quartier populaire, comme cette jeune femme (Lilian Gish) et son amoureux, pauvre musicien qui doit courir les villes pour obtenir son maigre cachet. Il faut donc vivre avec la malhonnêteté, au milieu des enfants, des femmes faciles, des ouvriers et des camelots, à l'image de ce vieil homme qui semble lire la Bible en étant là sans être là, immuablement, comme s'il faisait partie du décor, du quartier, au même titre que Snapper Kid (Elmer Booth). Le ventre de la ville sécrète ses personnages, ses habitants dont chacun détient une partie du code de l'être humain, une fois qu'on l'a enfermé dans un deux pièces, avec la ruelle aux cochonneries comme seul espace commun. Le quartier auquel chacun sera finalement attaché parce qu'il l'aura enfanté, parce qu'aucune histoire ne pourrait naître en dehors du quartier. Comment ne pas penser ici (notamment la scène incroyable du guet apens) à l'héritage cinématographique de West Side Story (Robbins et Wise-1961), à Rusty James (Coppola-1983) ou encore à l'amour de Paul Auster pour Brooklyn (son travail avec Wayne Wang au cinéma-1995) pour ne rien dire ici cinéma français des "bas-fonds"?

Parce qu'il y a autant de manières de faire le bien et le mal qu'il y a de gangsters, cela crée des rivalités et des affrontements. Le pire ennemi d'une bande de gangsters n'est ni la population, ni la loi, ni les forces de polices. Non, une bande de gangsters ne peut craindre qu'une bande rivale. Parfois les intérêts sont différents, ou bien l'origine ethnique, ou encore le territoire... Et puis le gros veut manger le petit, comme du côté des honnêtes gens au ventre rebondi. Mais Griffith est d'abord un cinéaste du coeur il ne condamne que ceux qui doivent mourir de leur stupidité ou de leur méchanceté absolue. Aussi prend-il  parti pour cette sale tronche de Snapper Kid, qui a des principes, enfin au moins un : on n'abuse pas d'une femme après avoir versé une drogue dans son verre. Ce bandit au coeur plus tendre ou plus honnête que celui de son rival y gagnera un alibi, Griffith nous rendant ainsi le personnage plus sympathique... Et, oui, comme chacun sait, les gangsters ont leur code de l'honneur. Ce sera d'ailleurs là tout l'intérêt de l'histoire à venir du film noir : montrer les tensions qui peuvent naître des conflits entre l'honnêteté et l'honneur, entre la malhonnêteté et l'amour, entre le devoir et l'honneur. Et il appartiendra plus tard au détective privé de résoudre le plus souvent cette équation sans solution, sinon ce ne serait pas si palpitant!

Impossible de ne pas avoir une pensée pour ce malheureux Elmer Booth, mort prématurément à l'âge de 33 ans dans un accident de voiture au volant de laquelle était un certain... Tod Browning! Visiblement Elmer Booth ne savait pas mieux choisir ses fréquentations dans la vie que comme gangster sur les écrans... On ne peut donc apprécier son faciès et ses regards de truand que dans quelques films, et c'est bien dommage!  

 The Musketters of Pig Alley (1912) : https://youtu.be/ZBZptVcanr8

 

 

   

The Musketters of Pig Alley (Griffith-1912) ; Histoire du cinéma #34
Tag(s) : #Cinéma
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