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"Pour gagner sa vie" (1914) de Henry Lehrman avec Charlie Chaplin dans son premier rôle au cinéma.
Il y a 110 ans de cela, le chapeau, la canne, la moustache sont déjà bien là. L'agitation incessante (mais savamment maîtrisée et calculée) du visage, des mains, du corps tout entier sont là : de nombreux éléments de la grammaire de Charlot sont déjà bien en place - même si Chaplin détesta ce premier film et lui préféra à juste titre le personnage de Charlot, vagabond à jamais immortalisé pour son humour et sa tendresse.
La grammaire, la gestuelle, les situations aussi, et son génie de la pantomime héritée de ses années de théâtre comique, de ses sketchs de music-hall qui vont jusqu'à l'acrobatie.
Même s'il n'était pas facile de s'entendre avec Lehrman en raison de son caractère (il poussait ses acteurs à prendre des risques physiques déraisonnables), à l'écran ces deux-là s'entendent comme larrons en foire, dans des combats réglés comme au catch, mais avec un humour et une inventivité bien supérieures.
Il y a déjà une femme béate d'amour, un coeur conquis d'avance, quel que soit le ridicule de Chaplin, et des dénouements favorables, comme si la malice -ce don de l'intelligence- pouvait venir à bout de tous les obstacles.
Du personnage de Max Linder (envers qui Chaplin reconnaissait une petite dette) à celui de Charlot, il y a une distance incommensurable, qui est celle de la vivacité, du rythme, de la surprise permanente. Le jeu de Chaplin, c'est une inventivité incessante sur le fond stable d'un personnage attachant dans ses excès et reconnaissable entre mille. Trouver le juste équilibre entre l'inventivité (à la fois dans l'instant et dans la durée), l'excès (le personnage doit être excessif en tout) et le rythme, tout en conservant une place aux émotions humaines sans jamais ennuyer le spectateur, voici ce que même Buster Keaton ne saura pas toujours faire, pour ne rien dire des comiques qui suivront.
Par cette vitesse de jeu, par cette explosion permanente d'idées comiques et surprenantes, par mille petits gestes qui sont autant de clins d'oeil malicieux faisant appel à l'intelligence du spectateur, Charlie Chaplin allait marquer pour toujours l'histoire du cinéma burlesque et lui montrer la voie à suivre sans jamais être égalé.