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Antonioni Michelangelo (1912-2007) -cinéaste (Blow-Up)
Antonioni Michelangelo (1912-2007) -cinéaste (Blow-Up)

Blow-Up (1966)

Distribution

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C'est un film sur l'instant et sur le désir, comment ils se parlent et comment ils ne se parlent pas. Tout est désirable, rien n'est désiré. Personne ne rêve dans une humanité comme robotique et hallucinée. Il semble possible de faire semblant de vivre, de faire semblant d'aimer, de faire semblant de désirer, et même de faire semblant de jouer au tennis.  

Antonioni propose un film sur la discontinuité des instants. Son héros, photographe, vit dans un monde et une temporalité disloqués. Il s'agit d'un homme lucide et intelligent, qui rejette la continuité mais que la fragmentation ne nourrit plus. Son regard sur le monde est son gagne-pain. L'argent lui procure la liberté et l'indépendance. Il peut dire oui ou non.

Il vit dans un monde nouveau, il appartient à cette génération qui croit à sa libération par la fragmentation, par le rythme, par l'euphorie. 

Le photographe saisit le meurtre de l'instant par le désir et le meurtre du désir par l'instant.

L'instant ne peut jamais contenir le désir, le désir ne peut jamais contenir l'instant. Ils peuvent s'engendrer, mais leur accord est difficile, leur pérennité une illusion.  

 

Scène du modèle:  https://youtu.be/RNPVjNwzTCg

 

Antonioni Michelangelo (1912-2007) -cinéaste (Blow-Up)

Il faudrait autre chose, peut-être du lien, peut-être du sens. Epaissir le temps, mais comment faire dans un monde où seuls le désir et l'instant font sens?

Impératif de la jouissance: il ne faudrait voir que ce que l'on désire et ne désirer que ce que l'on voit. Course folle, suicidaire, tyrannique. Alors le photographe se réfugie dans son regard. Il s'essaie à la liberté par son art, mais il découpe le monde de manière égocentrique et ne s'y implique pas. Le regard libre n'a pas d'affects et demeure un jeu de l'esprit. 

Il faudrait pouvoir photographier le hasard dans le moment où le sens s'origine, là où peut se nouer la relation. Construire des bribes de significations, des débuts d'histoire. Car comment relier les désirs s'ils sont discontinus?

Ou bien accepter la fragmentation et errer en schizophrène solitaire et translucide, ou bien droguer et ensuquer le corps par tous les sens. Rechercher l'extase psychédélique, soporifique et antalgique, celle des fausses continuités.

Cependant, ni la discontinuité ni la continuité ne libèrent. Car elles se dialectisent et s'épuisent par l'appauvrissement de leur contenu qui ne saurait se régénérer que de la seule valeur de l'instant vécu.   

Il faut une histoire, il faut une croyance, il faut un film. Introduire de l'inventivité par le hasard, et faire vivre le hasard dans la continuité. Faire advenir l'étrange, l'insolite, le suspens.

Néanmoins, pouvoir sortir de l'histoire à tout moment, demeurer anonyme, épouser d'autres instants de vie, bifurquer, apprendre à voir le monde comme un photographe. Faire abstraction de l'autre pour lui voler son apparence. Prendre des clichés à son insu.  

Le photographe demeure libre de rencontrer le monde, mais la photographie ne suffit pas. Elle est sa propre quête: elle voudrait voir et montrer derrière les apparences. Mais elle échoue aux portes du paraître, elle esthétise.

Impuissance paranoïaque. Beauté salvatrice. Lassitude.

Car la beauté plastique lasse et épuise aussi, surtout lorsqu'elle est d'artifice.

Sans doute faudrait-il essayer la parole. Mais les apparences ne veulent pas de la parole. 

Chacun n'a absolument rien à dire. Parler vraiment, ce serait prendre un autre risque: montrer l'intérieur, s'aliéner à un autre. Cet autre, qui a été discrédité pour son hypocrisie et son égoïsme, que peut-il comprendre de nous-mêmes?

Echanger des corps, des désirs, des apparences, n'est-ce pas là une nouvelle parole, plus immédiate?  

Les clowns ne parlent pas. Ils miment. Ils ne vivent pas vraiment. Ils montrent que la réalité n'est que ce que nous croyons à son sujet.

Cependant, derrière les apparences, toujours moins de beauté: magnifiques photos d'un asile miteux, merveilleuses photographies de pin-up écervelées. 

Des corps nus, les premiers au cinéma, désirables seulement pour le voyeur. Offrir le corps pour vivre et monnayer l'instant.

Car il faut bien passer d'un instant à l'autre, faire fusionner les clichés de notre conscience désormais photographique, subir l'impossible désir de continuité.  

L'instant naît et meurt et le désir ne sait pas quoi faire du temps qui passe.

Consommer le désir, dans quels espaces, selon quelles vitesses?

Si nous désirons ce que nous croyons, nous ne voyons pas. Et, si nous désirons ce que nous voyons, nous ne croyons pas.

Croire et voir en même temps: ce serait comme dans un film, comme dans une histoire.

Antonioni Michelangelo (1912-2007) -cinéaste (Blow-Up)
Antonioni Michelangelo (1912-2007) -cinéaste (Blow-Up)

Alors le photographe essaie l'évasion. Peut-être y a-t-il  quelque chose à prendre hors les murs, là où les amoureux s'embrassent.

Photographier leur étrange intimité, saisir leur continuité, toucher pour une fois au-delà des apparences et des artifices.

Cependant, là encore, il n'y a pas d'image de la vérité ni de vérité de l'image. La scène d'amour cachait une scène de meurtre. La femme entraînait un homme à sa perte. Le photographe a vu derrière les apparences un regard qui n'était pas cohérent, un visage inquiet. Les agrandissements des clichés révèleront le piège et le meurtre. Il y aura un cadavre, le temps d'une discontinuité, le temps d'une illusion, le temps d'une rencontre.

Antonioni Michelangelo (1912-2007) -cinéaste (Blow-Up)

Tous les clichés ont été dérobés au domicile du photographe, le cadavre envolé, et le photographe lui-même disparaîtra à la toute dernière seconde du film.

Tout n'est qu'illusion, l'image ne prouve rien, et ceux qui croient saisir fugacement quelques instants de vérité sont d'abord bernés par leur désir de croire.

Il n'est donc pas possible d'apprivoiser les apparences, pas plus que le désir: celui qui a appris à voir sera seulement autorisé à ne saisir que l'étrange, dont la beauté est sa forme la plus apaisée. 

Nous croyons regarder les choses mais ce sont elles qui nous regardent, pareils à des clowns.

Plus nous posons, et moins nous n'aurons de souvenirs.

Moteur!

 

Présentation humoristique ARTEhttps://youtu.be/76R8Nye4Mwg

Tag(s) : #Cinéma
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