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Histoire du cinéma #9 : Les premières farces de George Méliès (1896-1898)

A la différence des frères Lumière, qui sont avant tout des industriels et des inventeurs passionnés qui ne sont pas parvenus -on les pardonne bien volontiers!-  à imaginer en même temps la promotion de leur invention et le développement proprement artistique du cinéma (sa narration, son esthétique), Georges Méliès (1861-1938) conçoit immédiatement le cinéma comme le prolongement naturel de son métier de prestidigitateur, maître des illusions et amoureux de l'imaginaire humain.  

Pour Méliès, le cinéma est d'abord une scène de théâtre enrichie de nouveaux trucages et de nouveaux procédés mais il est aussi la garantie que le spectacle aura lieu, que le "show must go on" de l'image enregistrée mettra le théâtre de l'illusion à l'abri des impondérables et des vicissitudes humaines. Le cinéma constitue aussi la garantie d'une certaine qualité puisque le réalisateur y est juge de l'intérêt de ce qu'il décide d'immortaliser. Le cinéma est encore capable de compléter et de diversifier ce qu'il est possible de présenter au public dans un théâtre; il est reproductible dans le temps et exportable en d'autres lieux. Un film, c'est une scène de théâtre qui tient dans une boîte, ce qui le rapproche ici du livre. Le grand livre du cinéma de Méliès est un livre de contes, de légendes, de mystères, où l'émerveillement du spectateur est comparable à la rêverie du lecteur. Au cinéma comme dans la lecture, nous sommes emportés, ici par les yeux du corps, là par les yeux de l'esprit. La dette de Méliès (et de ses descendants) à l'égard d'un Jules Verne représente l'une de ces merveilleuses filiations qui relient à jamais le cinéma et la littérature. Chacun aura à l'esprit le Voyage dans la Lune (1902), très inspiré du roman de Jules Verne De la Terre à la Lune (1865), nous y reviendrons dans un autre article.    

Le cinéma de Méliès est donc un voyage, et d'abord un voyage à travers l'impossible qui entend faire reculer les limites du réel (c'est-à-dire du concevable) en repoussant les limites naturelles de la perception et de l'imagination. C'est pourquoi l'art de Méliès, en empruntant certains éléments au théâtre de l'illusion, d'autres au roman d'anticipation, permet au spectateur de voyager aussi bien en direction des régions obscures et mystérieuses du rêve et du spiritisme que vers les univers futuristes de la science-fiction. Le principal sujet de Méliès c'est en définitive l'âme humaine, dont tout le monde parle mais que personne n'attrape ni ne montre jamais vraiment. Cette âme, qui serait finalement le voyage en train de se faire et dont le cinéma pourrait révéler quelques-uns de ses secrets. (Comment ne pas penser ici à Dead Man (1995) de Jarmusch?)

Une autre manière chez Méliès de s'évader du monde réel et de la tristesse inhérente à la condition humaine, c'est évidemment le rire, la surprise, la farce. Héritier de la farce du roman picaresque et du comique de situation du vaudeville, Méliès est aussi le précurseur de ses illustres descendants: Charlie Chaplin, Buster Keaton, Laurel et Hardy, les Marx Brothers, et tant d'autres.

Méliès a donc compris le premier que le cinéma, c'était du théâtre, de l'illusion, du rêve, du voyage et du divertissement à volonté. Il est également le premier à avoir construit un studio d'enregistrement dans sa propriété de Montreuil, studio qui sera l'équivalent d'une scène de théâtre où les décors et les dei ex machina pourront être variés à l'infini au gré et au service de l'imagination de Méliès. 

Méliès est évidemment à l'affut de toutes les inventions cinématographiques de son temps (l'arrêt de la caméra, la technique de la réserve au noir -qui permet la surimpression-) mais son apport principal relève à nos yeux de la narration, qu'il développe plus que quiconque à cette époque, et de l'emploi très important de décors et d'accessoires, mais aussi d'une "mise en scène" qui implique les premiers "jeux" d'acteurs. Avec Méliès, pour la première fois, des acteurs jouent leurs rêves, leur cauchemars, leurs aventures, là où ceux qui les avaient précédés devaient presque toujours se contenter d'exécuter une danse, un combat de boxe, une prouesse, une scène de la vie quotidienne.

A travers les artifices et subterfuges employés, grâce au jeu des acteurs dépendant de chacun des dei ex machina issus de l'imagination de Méliès, ce précurseur génial donne aussi pour la première fois à voir ce dont le cinéma est fait. Parce que le spectateur se demande devant chaque film : "Comment est-ce fait?" - en même temps qu'il est pris dans la narration et le merveilleux de l'image, chaque film de Méliès est toujours d'emblée un film sur le cinéma. Le cinéma de Méliès ne cesse de montrer comment il est fait, ce qui inaugure là aussi toute une postérité de films, pour ne citer que Le Mépris (1963) de Godard, La Nuit américaine (1973) de Truffaut ou encore Mulholland Drive (2001) de Lynch

    

Le Manoir du diable (1896) est l'un des premiers films muets dont le scénario dépasse 3mn : https://youtu.be/mw8bzC33CGY     

 

Dans Un homme de têtes (1898), Méliès s'en donne à coeur-joie en usant du procédé de la réserve au noir qui lui permet de créer un effet spécial par surimpression tout à fait novateur: 

https://youtu.be/_-e9m0_VvmI   

 

Avec La tentation de Saint Antoine (1898), le cinéma de Méliès est subversif comme le sera celui des cinéastes se réclamant du surréalisme et l'on ne peut s'empêcher ici de penser à Bunuel

https://youtu.be/fAtjOkIUHoQ

 

Enfin, La Lune à un mètre (1898) offre un bel exemple de l'univers onirique de Méliès et de son goût pour l'artifice: https://dai.ly/x2iczuk

 

 

      

Tag(s) : #Cinéma, #Théâtre
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