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Histoire du cinéma #12 : L'Affaire Dreyfus de George Méliès (1899)

Bien que la British Mutoscope Company filmât depuis quelques années des films d'actualité, en particulier sur l'Affaire Dreyfus, demandant ainsi aux premiers paparazzi de l'époque de fournir à un public avide de sensations des prises de vue réelles, il faut attribuer à Méliès la paternité du premier film politique et militant de l'histoire du cinéma.

Toute l'histoire de l'image des origines jusqu'à nos jours nous enseigne que l'on peut faire dire à peu près de ce que l'on veut à l'image d'actualité comme à celle de la fiction. Dans les deux cas l'image a une force politique parce qu'elle concerne la vie des hommes, image sujette à la propagande, à la falsification, mais dont la vérité respective ne s'obtient pas de la même manière. En effet, si la prise de vue réelle possède la terrible force de la preuve (les nazis en savaient quelque chose en ayant pris soin de détruire le plus d'images possibles), l'image reconstituée par la mise en scène du cinéma n'en est pas moins puissante car elle a d'autres vertus qui sont celles de la prise de recul, de la narration, et du passage du particulier à l'universel.  

L'image d'actualité réelle, s'il s'agit de la condition des hommes -a fortiori si elle est violente- provoquera l'émoi, tandis que celle du cinéma provoquera l'émotion. L'image réelle dit l'instant irréversible qui s'est produit dans l'histoire, elle dit la cruauté du monde sur laquelle nous n'avons pas prise, elle dit notre impuissance devant l'injustice et l'irrationnalité, elle dit l'horreur, elle scandalise. Au contraire, la mise en scène, la narration et la reconstitution cinématographique introduisent la possibilité du sujet universel par la reproductibilité de l'évènement historique: ainsi, ce qui arrive à cet homme au cinéma parle à l'homme qui pense et non à celui qui réagit. Au cinéma, ce qui arrive à un homme arrive en réalité à tous les hommes et ce qui s'y passe concerne toujours à la fois le passé, le présent et le futur de l'humanité. On ne peut pas dire au cinéma que "tel évènement a eu lieu" car, par la fiction, l'évènement a toujours eu lieu et il sera encore un évènement tant que le film sera regardé par des hommes et des femmes. 

Les images d'actualité se succèdent et tombent dans l'oubli; elles font et accompagnent l'opinion. Et même si elles peuvent déclencher et accompagner la révolte, il y a loin entre elles et la pensée de leur évènement. Le cinéma quant à lui n'a pas la force de fomenter la haine qui lui est antinomique. Le cinéma vise l'homme, ses images ne tombent pas dans l'oubli, il fait acte de mémoire, il est éducateur.

C'est dans cet esprit que Méliès, le cinéaste de l'illusion, de la magie et du voyage imaginaire, prend conscience au moment du procès de Rennes de 1899, que sa caméra et ses studios doivent servir une cause grave : celle de l'injustice qui s'acharne sur Dreyfus. Un mois à peine après une parodie de procès et un verdict inique, Méliès se met au travail dans ses studios de Montreuil et reconstitue comme il le peut (mais en s'appuyant sur des photos parues dans les journaux) 11 tableaux réalistes qui sont autant de repères important de la chronologie de l'Affaire Dreyfus. La tâche du cinéaste est bien ingrate compte tenu des moyens cinématographiques dont il dispose à l'époque: pas de dialogues, pas de cartons explicatifs, pas de gros plans sur les visages, pas de mouvements de caméras, mais au contraire les limites matérielles de son studio et le jeu des acteurs amateurs de l'époque (Méliès tient lui-même le rôle de l'avocat Fernand Labori). Mais le plus important n'est pas le résultat final, personne à cette époque n'avait mis bout à bout avant Méliès onze scènes filmées, qui plus est racontant un scandale d'Etat. Ce qui est important dans cette tentative de reconstitution, c'est l'engagement d'un cinéaste, Georges Méliès, par lequel le cinéma fait son entrée en 1899 dans l'arène de la vie sociale et politique. 

La censure qui régnait autour de l'Affaire Dreyfus n'eut même pas à interdire la projection du film. Il le fut en raison des troubles de l'ordre public qu'il occasionnait car chacune de ses projections entraînait des rixes entre spectateurs dreyfusards et anti-dreyfusards. Il fallut par la suite attendre bien longtemps en France avant qu'un autre cinéaste puisse faire preuve du même courage et du même engagement politique que Méliès. Car la censure concernant la projection en France des films étrangers traitant de l'Affaire Dreyfus ne fut levée qu'en 1974 (il fallait protéger le "prestige de l'armée française") et ce n'est qu'en 1978 que le réalisateur français Stellio Lorenzi eut le courage de porter de nouveau à l'écran l'Affaire Dreyfus dans un téléfilm de 1978 "Zola ou la conscience humaine" tandis qu'il fallut encore attendre 1994 pour que Yves Boisset tourne lui aussi un téléfilm "l'Affaire Dreyfus"

 

L'Affaire Dreyfus (Méliès -1899) : https://youtu.be/xwb3IOIwQO0

Tag(s) : #Cinéma, #Histoire, #Politique
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