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Histoire du cinéma #14 : Demolishing and Building Up the Star Theater (1901 -Frederick Armitage)

Frederick Armitage (1874-1933) fut un pionnier du cinéma particulièrement inventif et l'un des tous premiers à utiliser la technique du time-lapse afin de créer un effet d'accélération du temps au moment de la projection du film. 

Apprenant que le Star Theater de New-York allait être détruit, Frederick Armitage eut l'idée géniale de planter sa caméra dans un appartement situé juste en face du chantier de démolition et d'y enregistrer chaque jour quelques prises de vue, toutes les demi-heures, durant toute la durée des travaux. L'effet obtenu à la projection est tout à fait extraordinaire car plusieurs semaines sont ici condensées en 1mn 30 seulement. 

Cette idée proprement cinématographique, parce qu'elle touche à l'essence même du temps, en mettant en évidence la perception du changement au sein même de l'identité de l'espace, hisse le cinéma au niveau de la métaphysique. Qu'est-ce que le temps, l'espace, la matière? Qu'est-ce que la durée, le rythme, le changement? Qu'est-ce que notre perception des choses si un bâtiment imposant semble se désagréger de lui-même, comme rongé et dévoré par les termites du temps? D'un seul coup les piétons s'activent en tous sens comme dans une fourmilière, tandis que des ombres et des lumières aux origines mystérieuses forment un orage permanent de contrastes. Sur la facade de l'immeuble situé à gauche, les stores et les auvents s'ouvrent et se referment à un rythme infernal, comme si les éléments du monde étaient pris d'une folie incontrôlable. Un tel monde semble perdre toute rationalité et n'obéir qu'à des forces occultes.

Mais alors qu'en est-il du monde normal si un simple changement de vitesse met en évidence la folie même de ses répétitions? Et si Armitage nous montre cette scène en vitesse normale au début et de nouveau à la fin du film, n'est-ce pas pour poser la question à la fois de la folie de notre monde mais aussi celle de la fragilité et du caractère éphémère de toute chose dans une telle vie? Qu'est notre monde si le Star Theater peut disparaître en une minute trente sous nos yeux? Un monde où chaque piéton est une fourmi remplaçable par une autre, un monde où les termites du temps -qui ne cesse de s'accélérer dans cette Amérique- sont les ouvrières de la dévoration perpétuelle du passé. Car c'est évidemment le passé qui disparaît sous nos yeux, un passé sans cesse remplacé par le rythme infernal du présent, jusqu'à ce que le futur ne soit plus un jour qu'un regard sur la fourmilière humaine, projeté sur des écrans... 

On pense ici à la nouvelle de Paul Auster Auggie Wren's Christmas Story (1990) dans laquelle le personnage principal, Auggie, a l'habitude de prendre chaque jour à la même heure, au même endroit, des photos au coin d'une rue et que Wayne Wang a adapté au cinéma dans "Smokeen 1995. Ce film, scénarisé par Paul Auster, est une très belle méditation sur les rapports que l'homme entretient avec le temps et l'espace, dans leurs répétitions et leurs différences, une méditation qui prend sa source dans la magie quasi religieuse que crée la capture quotidienne de la vie par les photographies d'un homme éperdument amoureux de son quartier. 

"Demolishnig and Building Up the Star Theater" (1901) : https://youtu.be/vk9YHrE0328

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