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aléatoire

L'aléatoire est-il la figure d'un hasard dû à notre incapacité à prédire les évènements ou l'inscription même du hasard au coeur du comportement des choses?

a) Ou bien le cours des choses est illisible parce que le comportement des choses est imprévisible en soi.

b) Ou bien la lecture des événements est impossible en raison de la complexité même des événements (mode d'interactions des choses entre elles) et/ou du trop grand nombre de facteurs en prendre en considération. 

c) ou encore parce que nos instruments de lecture du monde sont insuffisants.

Qu'est-ce que le comportement d'une chose? C'est la rencontre de ses habitudes et des circonstances qui la font chose ici et maintenant. Dès l'instant que la chose est, elle ne se comporte pas n'importe comment mais selon ses habitudes qui sont fonction des circonstances. Que veut dire circonstances? Que la chose n'est pas seule et que son environnement varie. La chose est prise dans un champs circonstanciel et en retour la chose crée et modifie son champs circonstanciel. Il n'y a pas de limites au champs circonstanciel. Tout est pris dans tout. Cependant le comportement de la chose et son observation ont lieu dans l'ici et le maintenant. 

Quelles sont les habitudes de la chose? La chose est un répertoire de comportements possibles qui sont ses habitus. La chose n'adopte pas tous les comportements possibles à la fois, elle habite le champs circonstanciel comme ce comportement-ci. Il y a habitudes lorsque ces comportements-ci répètent ces comportements-là.  

Hume nous a appris que les habitudes de la chose ne sont pas des promesses de la chose à se comporter toujours ainsi. Cependant, à l'exception des miracles, on n'a encore jamais vu une chose changer ses habitudes. Rien ne permet d'affirmer qu'un miracle est impossible. Un miracle est un trou, une discontinuité dans le champs circonstanciel qui change les habitudes de la chose. 

Même si la chose ne peut adopter tous les comportements possibles à la fois, elle peut opter pour des habitudes différentes (physique quantique). La chose est porteuse d'un nombre fini d'habitudes. Elle ne peut adopter que les comportements qui lui sont permis. La lecture du comportement des choses est statistique. 

La statistique prédit la répétition et la répartition de la différence. La statistique exprime un déterminisme multiple. La statistique définit la carte des possibles et des différences, elle dit la multiplicité d'habitudes de la chose.

Aléatoire veut dire ici multiplicité d'habitudes de la chose dont la lisibilité sera seulement statistique. Toute lecture du monde est statistique. Une probabilité qui converge vers "1" s'appelle déterminisme, une probabilité qui se répartit sur des valeurs discriminées décrit un multi-déterminisme, une probabilité qui converge vers zéro pour l'ensemble  des comportements possibles décrit un monde totalement indéterminé, c'est-à-dire un non-monde.

Les choses sont sous l'influence des choses. Les champs circonstanciels s'entremêlent et s'entrechoquent. Nous avons tendance à appeler hasard la rencontre de deux champs circonstanciels A et B qui paraissaient indépendants l'un de l'autre (dans le langage déterministe, l'intersection de deux séries causales non liées). Dans le cas suivant très simple, l'aléatoire est ce qui n'était pas prévisible du point de vue d'un observateur du champs circonstanciel A. Nous croyons qu'un  homme qui marche dans la rue pour se rendre comme chaque jour à son travail (champs A) et qui reçoit une tuile sur la tête ayant glissé d'un toit (champs B)  meurt par hasard. Si l'homme avait levé la tête pour une raison due à un champs circonstanciel C, le hasard entre A et B  aurait perdu une bonne part de son caractère aléatoire du fait de la lisibilité de l'évènement et de l'évitement de l'accident. En revanche, l'esprit humain transfèrera le rôle du hasard qui semblait définir le rapport de A et de B (malchance) sur le rapport qu'il lira entre B et C (chance). L'esprit de superstition mais aussi la foi consistent à placer les rencontres de tous les champs circonstanciels sous l'influence d'un champs circonstanciel D (Destin, Dieu, Nécessité). L'amour est le chant du hasard sur les épaules du destin.

Dans les situations complexes où un nombre N de champs circonstanciels agissent et s'influencent en même temps, non seulement la prévisibilité des phénomènes devient d'une complexité extrême, mais il apparaît aussi que la moindre différence aux conditions initiales génère de gros écarts de prévisibilité (effet papillon en météorologie). L'aléatoire dépend donc non seulement de la complexité mais aussi de l'imperceptibilité. Il y a d'une part l'illisibilité de la masse des évènements et d'autre part l'imperceptibilité des conditions originelles pourtant décisives. 

D'autres systèmes dynamiques adoptent un comportement chaotique tantôt convergeant, tantôt divergeant par rapport aux attracteurs (parfois étranges) du système. L'aléatoire caractérise alors le comportement non-linéaire du système. La non-linéarité n'est pas le fait d'un indéterminisme mais d'un déterminisme chaotique rendant difficile la lisibilité d'un système en un instant t, t+1, t+n. L'aléatoire est ici l'imprévisibilité du changement de ce qui est intrinsèquement chaotique.

Enfin, nous ne savons pas bien lire l'interaction des choses et des champs circonstanciels dans les systèmes dynamiques dès que le nombre d'objets est supérieur à deux (problème des trois corps en mécanique céleste) ou lorsque le système est de nature cybernétique (nombreuses boucles de feed-back comme par exemple en biologie/immunologie/génétique). L'aléatoire n'est ici que notre incapacité à lire la complexité et l'interaction des champs circonstanciels et des objets étudiés. Les mathématiques et les modèles scientifiques ne disposent que du langage humain pour rendre compte du comportement des choses dans leur complexité dynamique aux différentes échelles de l'observation humaine (nous ne "connaissons" que les échelles microscopiques, visuelles, astronomiques). Malgré les progrès que l'homme fera dans la modélisation statistique du monde, malgré la puissance de calcul de ses ordinateurs à venir, c'est le langage humain lui-même qui fixe la limite du connaissable. Le langage ne pourra jamais prédire ce qu'il ne peut d'abord dire et décrire. L'aléatoire est l'indicible de la complexité du monde.

Qu'en est-il maintenant du comportement humain?

Il en est de l'aléatoire de la psychologie  et du comportement humains comme de l'aléatoire du monde. Livré à lui-même, l'homme est une liberté ballotée d'un champs circonstanciel à l'autre (entre désirs et nécessités). L'homme est d'essence imprévisible et illisible, la palette de ses habitudes possibles est très large, mais seul un certain nombre d'habitudes lui seront permises ou imposées.

L'imprévisibilité intrinsèque de l'individu est compensée par la lisibilité statistique de la masse humaine et par le rétrécissement de son espace de liberté. La statistique, la disparition des espaces vierges, et les forces coercitives, décident du comportement individuel, de même que le monde macroscopique décide de la décohérence quantique. La masse des choses canalise ce qui  voudrait folâtrer. L'électron libre est soumis aux champs électromagnétiques.

Dans ces conditions, l'aléatoire est renvoyé aux dysfonctionnements individuels ou sociaux, aux dérégulations, aux déséquilibres. La modernité technocratique a tout intérêt à donner à l'aléatoire la place de l'anomalie et de l'impondérable. L'aléatoire doit être maîtrisé et rejeté, l'imprévisible doit être tu et condamné. L'aléatoire fait scandale comme inégalité de destin. Pour la technocratie, il s'agit de prendre en charge l'aléatoire comme déviance par rapport à la norme afin de le ramener à la lisibilité du connu. La modernité cherchera toujours à rendre lisible la part aléatoire de toute aventure. Il faut dire l'aventure comme maîtrise du hasard.

Notre civilisation voudrait éradiquer l'aléatoire comme mise en danger de l'habitude, comme pathologie de la norme. Les foyers du chaos menacent la stabilité du monde.

Mais à fuir le chaos, l'homme est menacé de standardisation. Désormais tout l'homme est remplaçable. Les pièces détachées de la norme sont en vente libre. La durée de vie des choses est devenue le critère des non-choix humains, le rythme de ses pauvres nécessités. 

Il s'agit donc de résister à ce monde qu'on nous vend comme écrit à l'avance et de renouer avec la beauté du hasard. Il n'y a de vraie rencontre que de ce qui demeure libre dans sa lisibilité et dans son imprévisibilité. Parce que je ne connais pas la langue du hasard, il est inutile de vouloir lui imposer la mienne.

L'imprévisible nouveauté, l'aléatoire, est ce qui empêche la pétrification du monde. La seule chose qui était écrite de toute éternité, c'est que le hasard demeurerait à écrire. Ne cherchons pas à effacer l'aléatoire du monde en nous aveuglant de nos misérables habitudes.  

L'homme ne peut promettre que s'il n'avait pas prévu à l'avance de le faire. Seul l'aléatoire me permet d'espérer et de promettre.  

Tag(s) : #Philosophie, #Sciences
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