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D.H. Lawrence (1885-1930) -écrivain

Notre lecteur aura le plaisir de découvrir dans la revue Daïmon une très belle édition de cet article grâce au concours et aux bons soins de Raluca Belandry que je remercie vivement. Un numéro hors-série entièrement consacré à cet immense écrivain. 

     

Lawrence ou la quête du lien

La reprise du voyage homérique contre le naufrage du sujet moderne. 

Lorsque Ulysse, au chant XII de l'Odyssée, demande à ses compagnons de l'attacher fermement au mât de son navire afin de ne pas succomber au chant des Sirènes, il dit combien est indestructible le lien à son origine, à son Ithaque natale, et combien demeure inébranlable -malgré la condamnation des dieux à braver tous les pièges de l'âme humaine- sa volonté à rejoindre Pénélope, son Autre, la source ou cessera toute errance.  Déjà chez Homère, la plus grande aventure poétique aux origines de la littérature raconte le périlleux voyage vers ce qui fait lien.   

Nous faisons ici l'hypothèse que D.H. Lawrence est le premier grand romancier de la modernité à reprendre le voyage homérique afin de le transposer dans un monde où la subjectivité à été abandonnée à elle-même. Lawrence est en effet le témoin angoissé de cet abandon du sujet auquel la modernité et le roman moderne lui-même semblent le condamner. En effet, suite à la mort de Dieu diagnostiquée par Nietzsche et à la terrifiante proclamation de Dostoïevski: " Si Dieu n'existe pas, tout est permis", suite aux impasses du roman réaliste et à son incapacité à changer le monde, le soupçon des artistes porte progressivement sur le sujet lui-même, comme s'il était dorénavant porteur de sa propre condamnation, de sa propre infirmité et de sa propre absurdité. L'effondrement de la transcendance verticale et la noirceur horizontale de la société moderne influencent considérablement les grands romanciers contemporains de Lawrence. Un Kafka, un Joyce, un Proust -tout comme leurs successeurs jusqu'à Faulkner et au-delà- décriront presque tous un homme à la recherche de lui-même, un homme en proie à la solitude de sa conscience et qui ne parvient pas à s'extraire de son intériorité pour rencontrer véritablement l'Autre. 

Tout grand artiste trouve son origine dans les exigences de son démon, dans la morsure constante de son conflit intime et viscéral avec le monde, dans son combat pour faire vivre une autre vie. Lawrence est assurément un moderne en révolte avec la société dans laquelle il vit et qui n'est peut-être pas si différente de la nôtre: une société chamboulée à bien des égards, mais qui demeure fondamentalement sclérosée, castratrice et phallocratique, soumise à un rationalisme et à une morale usés jusqu'à la corde. Mais il est aussi un moderne qui comprend immédiatement qu'une bonne partie de la modernité fait fausse route, à chaque fois qu'elle éloigne toujours un peu plus l'homme de son épanouissement. Lawrence est intimement convaincu, que libérer l'homme de ses anciennes perceptions, ce n'est pas encore lui donner une nouvelle origine. Le conflit intérieur de Lawrence, son démon, c'est d'avoir à vivre et à supporter quotidiennement cette modernité tout en imaginant son dépassement. Lawrence doit faire avec les hommes de son temps, avec une société dont il exècre les valeurs, l'organisation, la fausseté des rapports humains qu'elle produit. Pour nous, Lawrence a été pratiquement le seul en littérature à sublimer la nécessité de l'artiste d'avoir à fuir hors de la société, non dans la direction toujours plus ou moins morbide de la dissection du sujet, mais dans celle, bien plus vitale et épanouissante, du lien possible entre les hommes comme avec la Terre qui les a fait naître, à travers une quête littéraire et un périple réel à travers le monde, dont la figure mythique et originelle est celle du voyage homérique. Tandis que Pénélope doit faire face aux prétendants dont le désir n'est qu'un désir de possession, Ulysse bataille contre la fausseté et les illusions du monde. Héros lawrenciens s'il en est, Ulysse et Pénélope dormiront tous deux dans leur lit nuptial, qui a été taillé dans le chêne même autour duquel leur demeure a été construite. Le plus pur symbole du lien homérique est un arbre centenaire qui puise sa force et trouve son origine dans les entrailles de la terre. Lawrence retrouvera dans ses propres symboles cette force et cette origine qui nourrissent le lien lui-même.   

Profondément novatrice au sein même de la modernité, l'œuvre de D.H. Lawrence se distingue donc d'abord par son intuition fondatrice et par une quête qui la traversent de part en part: l'homme moderne est orphelin du lien, il échoue le plus souvent à le vivre, il se détruit et s'aliène dans de fausses appartenances, il erre et souffre d'une solitude fondamentale. D.H. Lawrence trouve la source de son art dans ce déficit humain qui le taraude et que décuple son extrême sensibilité à une société qu'il juge presque entièrement peuplée de corps et d'âmes inassouvis, en raison d'infirmités diverses, mais qui tiennent toutes à l'incapacité de l'homme moderne à vivre les liens primordiaux.  Lawrence n'aura de cesse de montrer dans ses romans et dans ses nouvelles comment l'homme et la société dans laquelle il vit font le plus souvent échouer le lien mais aussi comment, à condition d'en revenir aux plus profonds désirs de l'homme et à son inscription originelle au sein de la nature et du cosmos, il peut aussi réussir par delà tous les filtres et les barrières qui éloignent les hommes et les femmes de leurs vérités les plus intimes : tous les personnages de Lawrence sont d'une manière ou d'une autre en quête du lien, au-delà d'eux-mêmes, dans l'attente de l'Autre.  

 

Dans le roman moderne qui s'insurge contre le réalisme, bien que prenant de nouvelles libertés, la littérature qui entend réinventer la perception du monde à partir du sujet demeure le plus souvent le symptôme de son époque. Il n'est pas certain que la modernité, en enfantant une nouvelle littérature, soit pour autant synonyme de l'invention d'un autre monde: Proust décrit un monde que seule une mémoire hypertrophiée dans son raffinement et toujours en quête d'elle-même métamorphose en un songe interminable, Kafka ne parvient qu'au suicide sarcastique de l'étrange normalité du monde, tandis que d'autres immolent la subjectivité dans un flux interminable de mots, dans une folie qui soliloque sans jamais rencontrer la moindre altérité. Se peut-il qu'en voulant dépasser la description réaliste de la vilaine comédie humaine et des travers de sa société, le roman moderne soit tombé de Charybde en Sylla? Balzac, Stendhal, Flaubert, Maupassant ont tous décrit une société et une nature humaine condamnées à elles-mêmes, un monde clos dont il semble impossible de modifier les règles. Fallait-il que la modernité butte à son tour non plus sur la clôture du réel mais sur la clôture du sujet lui-même? 

La spécificité de D.H. Lawrence au sein même de la modernité, c'est d'avoir ressenti contre le roman réaliste mais aussi contre la littérature de son temps, l'absolue nécessité d'un supplément d'âme et d'un surgissement du corps hors des limites que le réalisme et le subjectivisme leur assignaient. La vison novatrice de Lawrence est toute entière dans le double refus du réalisme et du subjectivisme. L'homme et la femme sont d'abord des corps et des âmes vivantes, des origines, des partances, au-delà des limites dans lesquelles la société et le langage les enferment.

Lawrence ne renonce à rien, ni à l'individualité qui est pour lui tout à fait autre chose qu'un sujet, ni à la quête de l'unité possible dans l'ici et le maintenant de l'Autre. C'est pourquoi pour Lawrence, ni le réalisme ni le subjectivisme ne sont en capacité de décrire la vie sacrée du lien, la rencontre vivante des hommes et du cosmos, la flamme intérieure qui anime chacun du désir d'être.

Lawrence refuse que l'homme soit la victime du monde, qu'il soit la banalisation d'un être résigné devant les  nécessités historiques ou sociales, il refuse que l'homme ne soit qu'un flux de parole, un soliloque de la conscience. Pour Lawrence, le rôle de la littérature est de lutter contre tout ce qui tend à faire du sujet un destin et une fatalité, contre tout ce qui réduit l'homme à un produit historique et social. L'âme et le corps, vivants et désirants, sont des énergies vitales, des anti-destins, des libertés en quête du lien sacré, ils sont l'acte toujours renouvelé de la création. Croire au destin du sujet après avoir cru à celui du monde, ce serait croire à toutes les forces contraires à l'homme, ce serait accepter que ce que l'on appelle la culture et l'histoire, la société et le sujet, soient les vérités définitives de l'homme, ce serait continuer à se nourrir -ad vitam aeternam- de tout ce qui est venu s'échouer et mourir dans la conscience humaine usée par les fausses nécessités où on l'enferme.

L'art et la littérature sont donc pour Lawrence une anti-fatalité, un anti-destin, le refus absolu des nécessités du sujet et de la société. Ecrire, non pas le roman qui montre un monde clos, un monde déjà mort, mais le roman qui ouvre, qui fait naissance et origine, qui écrit l'Autre monde.    

 

En habitant le monde des vérités établies, c'est-à-dire le monde d'où la vérité s'est absentée, l'homme s'enlise dans la reproduction du même, fantasme sur la maîtrise de sa vie comme sur la possession de l'autre, communique par mots d'ordre -car toute information vise une réaction conforme- (Deleuze) tout en ruminant un temps et un espace désincarné, ne parvenant ainsi qu'à de pauvres jouissances, à de misérables liens, dans l'immobilité hygiénique et coercitive du sacro-saint équilibre de son territoire. Le désir meurt d'étouffement dans la carte de ses pauvres nécessités, il creuse le sillon des frontières toujours plus infranchissables d'un espace qui ne cesse de rétrécir. Le désir du même est un désir de pierre tombale.

La pensée deleuzienne de la littérature, et en particulier du roman moderne, nous a appris que la puissance subversive de la fiction réside dans sa capacité à déterritorialiser l'homme, c'est-à-dire à l'extirper hors de ses repères, à déstabiliser sa pensée conformiste, à le faire s'aventurer en dehors de ses habitudes. Le roman et la nouvelle s'aventurent là où l'homme n'est pas encore allé. Qu'est-ce qu'une aventure? Chez Lawrence en particulier, c'est toujours un départ, un désir d'altérité, la recherche d'un lieu et d'un temps inconnus où pourront naître de nouveaux désirs. Désirer, c'est toujours voir autrement et ailleurs, c'est vivre la métamorphose d'un sujet qui a commencé à quitter son territoire. La littérature est une expérience de métamorphose, une puissance de déterritorialisation. 

La vraie littérature se reconnaît toujours à sa non-conformité. Un grand roman est une force qui déséquilibre, le souffle d'une écriture qui creuse, dénonce et fragmente les vérités dominantes. La littérature est un déplacement par évasion. Ce que rejette par dessus tout la modernité de Lawrence, c'est l'impossibilité du désir dans tous les territoires normés, balisés, castrateurs, c'est l'asphyxie de l'âme et du corps cernés dans les frontières des vérités exsangues.  Lawrence écrit afin que la littérature soit un départ et un commencement.

Originalité absolue de Lawrence qui refuse de douter de la richesse du sujet et du langage, là où d'autres écrivains les soupçonnent d'être eux-mêmes des territoires toujours plus pauvres en lignes de fuite. Lawrence a compris qu'en s'attaquant au sujet lui-même, le roman moderne serait incapable de parvenir au-delà de la description du dernier homme que vomissait Nietzsche: un homme rapetissé, rabougri, dont les sens s'affaiblissent, une âme sans force ni désir, une psychologie du ressentiment et de la mauvaise conscience en proie au nihilisme et aux misérables plaisirs.

Au sein même de la modernité, Lawrence emploie une voie radicalement autre. Certes, comme chez Nietzsche, il s'agit de fuir le dernier homme, l'homme d'une société où le désir est comme mort-né. La question, lancinante, de tous les personnages de Lawrence: "Comment quitter ce territoire-ci? Comment quitter ces hommes, ces femmes, cette société qui ne suscitent aucun désir et ne nourrissent aucun liens fondamentaux?" Lawrence sait qu'il ne sert à rien de combattre le dernier homme, qu'aucune révolution politique ou économique ne changera l'homme en profondeur. Lawrence rejette absolument le nivellement de l'homme vers "l'égalité" mais il n'invente pas davantage un homme "supérieur", un Messie, un Surhomme. Pour Lawrence, l'homme a déjà tout en lui, il a seulement besoin d'être révélé à lui-même, de voir, d'écouter, de toucher, de sentir, d'éprouver, mais cette révélation ne peut se produire qu'en quittant le vieux monde d'une société désincarnée. Aucun compromis ne saurait être trouvé avec l'inauthentique. Ici, tout est à fuir, ailleurs, tout est à découvrir.   

Car pour Lawrence, comme pour Nietzsche et Deleuze, il ne peut y avoir de désir que de ce qui s'échappe hors des pauvres vérités. Ne plus accepter les boniments servis à satiété pour la masse humaine, ne plus participer à la messe des dociles, à l'agonie sans fin de ceux qui se repaissent de la norme. La société des hommes crie: "Moi aussi! Moi comme toi! Qui que tu sois, je suis ton égal, je n'aime ta différence que si je peux la faire mienne!" Société de morts-vivants, délimitant leurs territoires par la peur, l'interdit, l'égoïsme. Société d'hommes et de femmes épuisés dans leurs automaticités, se reprochant la faible morsure de l'interdit, pantins articulés par la norme, esclaves de l'habitude, laquais du qu'en-dira-t-on, pitoyables vampires n'ayant plus à sucer la moindre goutte de sang.   

Partir (multiples formes du départ chez Lawrence)

Partir. Fuir les habitudes, les compromis, les obligations, les comptes à rendre, les jugements, la censure, les faux amis, devenir la pièce manquante du puzzle, ne plus accepter le jeu serré qui asphyxie, laisser un trou dans le tissu social, ne plus appartenir. Fuir pour ne pas se laisser dévorer par le monde déjà là des hommes.

Partir. Fuir les premiers liens, les premières erreurs, les mauvais choix, les origines biaisées, les dés pipés. Prendre conscience qu'il n'est pas possible de devenir une individualité pleine et entière partout où les pièges de la domestication se resserrent. Refuser le parc humain.

Les personnages de Lawrence sont à l'image de leur créateur: il leur faut s'échapper, préparer  sans relâche leur évasion, partir en quête de soi dans l'inconnu. Ne jamais s'installer vraiment dans un nouveau territoire mais, à peine arrivé, être déjà prêt à repartir.

Refuser toute sensation d'emprisonnement, combattre continument la gangrène des faux liens. Partir afin que les forces centripètes du monde ne tarissent la source créatrice du soi.    

Mais partir ne s'intellectualise pas toujours. Le départ ne se vit pas seulement dans la pesée d'une détermination. Le départ s'origine de la crise, la redoute, ne la supporte plus, l'évite.

La crise est une crise du corps, c'est toujours le corps qui est en crise et qui se révolte. La crise, ou la fuite panique, n'a rien ni d'organisé ni de délibéré, elle est organique, en excès, elle relève de l'instinct de survie: le corps explose car il n'espère aucune espèce d'aide de l'esprit. En éprouvant la crise, le corps s'oblige à un changement d'état afin de créer du possible. La crise est une colère du corps pour le faire advenir ailleurs, pour dire à l'âme que le besoin d'ailleurs est devenu irrépressible.  La limite du corps a été franchie, le corps ne tolère plus ce qui le brime et le maltraite, il somme l'âme d'agir. Le changement d'état du corps, sa colère incandescente -mais le plus souvent très intériorisée chez Lawrence, car pour lui le conflit et les tensions entre les êtres n'apportent rien- témoigne de la recherche de solutions à partir d'un corps qui n'en peut plus, parce que rien ne vient le nourrir. De nombreux personnages de Lawrence sont en crise, et c'est leur propre corps qui exige d'eux une solution, une échappatoire, une explosion, une fuite. Chez Lawrence, le corps insatisfait est toujours à l'origine des crises de l'individu. Toute crise est celle d'un corps qui exige un changement, tout départ est une forme de crise.   

L'œuvre de Lawrence explore toute une multiplicité de formes de départ qui se nourrissent tous, d'une manière ou d'une autre, d'une crise et d'une exigence du corps.

La révolte de Lawrence trouve son origine dans la blessure indélébile, en son âme et en son corps, de son exil et de la souffrance que lui inflige la censure anglaise et son puritanisme. Avoir à supporter jusqu'à l'écoeurement de ne pas être libre d'écrire et de publier dans son propre pays. Être jugé par les derniers hommes, les "tards venus", les médiocres, ceux qui ne peuvent pas comprendre, ceux qui se nourrissent du mimétisme des interdits. Se révolter contre la société de son temps, refuser les valeurs conservatrices qui avilissent l'homme et qui conduisent à cette guerre qui aurait dû enfin réveiller la sensibilité humaine de son long sommeil dogmatique. Car la première guerre mondiale a fait éclater en Lawrence toute l'humanité qu'il contenait en lui. La guerre est la preuve absolue de l'inanité de la culture européenne, une culture de la mort, de la domination, de l'individu bafoué, du devoir à accomplir. Or, pour Lawrence il n'y a de devoirs sacrés que dans la rencontre du lien. C'est par le lien que l'homme peut tout à la fois s'éduquer et aller au bout de lui-même, de son humanité. Tout autre forme de ciment social est contraint, forcé, plaqué, artificiel. Vivre l'exil comme une souffrance et une nécessité: la société anglaise et Lawrence ne peuvent se tolérer l'un l'autre, aucun compromis n'est possible. Lawrence hait les combats perdus d'avance.

La fuite de Lawrence, son exil, au-delà de la censure, c'est une rage, une immense colère, qui ne le quitteront plus. Une rage devant ce que sont devenus les hommes et les femmes socialement et individuellement: des caricatures que Lawrence ne pourra jamais supporter vraiment, même une fois loin de son pays. Lawrence n'acceptera que des relations et des comportements vrais et authentiques.

D'où son goût, son attirance très forte pour les excursions, les périples, les voyages. Le mouvement, le nomadisme, la partance, obligent les êtres à davantage d'authenticité. Changer ses repères, devoir s'adapter, découvrir, voilà qui semble bénéfique à chacun. Le voyage fait taire les forces centripètes du territoire et laisse advenir les forces centrifuges de l'ailleurs. Le voyage régénère les repères et fait ressentir la mobilisation possible des forces vitales. Non pas l'éternel retour nietzschéen, non pas la reprise qualitativement supérieure de choses déjà vécues, comme chez Proust ou Kierkegaard, mais la quête de ce qui ne se vit toujours qu'une seule fois dans la présence et l'intuition du lien.

Voyager pour découvrir d'autres êtres, d'autres modes de vies, d'autres civilisations -même disparues-. Faire le tour du monde pour voir comment les hommes vivent et ont vécus,  découvrir quelles solutions ont été trouvées par d'autres, quels liens ils ont pu établir, non seulement entre eux, mais aussi dans leur rapport à la nature et au cosmos. Lawrence a voulu plus que tout autre partir à la recherche des liens du monde, arpenter le paysage humain pour lire à travers l'homme. Quitter sa propre histoire, parvenir à oublier son propre exil, en rencontrant la géographie de l'homme, en parcourant la planisphère de ses liens.

Mais le plus grand départ de Lawrence, celui que rien ne semble conditionner, pas même sa vie conjugale parfois aliénante, cet ailleurs que n'enferme aucun territoire et auquel seul la maladie mettra fin, c'est l'écriture comme exil et fuite de soi vers soi.

Écrire, chez Lawrence, c'est être en partance vers le noyau intérieur, vers la vision en soi, afin  de dévoiler et révéler son être intime et ses aspirations. L'écriture de Lawrence est un voyage qui se nourrit de l'archipel de tous les départs.

L'oeuvre de Lawrence est cette polymorphie, faite de tous ses départs réels et littéraires, la tension permanente d'une création vers l'unité, unité qui vise la préservation et l'épanouissement des individualités, qu'il recherche partout et toujours, comme expression d'une vérité multiple à travers la diversité humaine, mais unique parce que constitutive de la condition humaine: l'homme est en quête du lien, et là où le lien ne se fait pas, là où il échoue, l'homme est orphelin, quelque part entre l'exil, la fuite, l'errance et le voyage. La rage, le désir, la colère, l'imaginaire,  furent les lignes de fuite de Lawrence.

Lawrence, l'homme qui s'échappait en aimant les départs, l'homme qui s'enfuyait sans cesse vers l'Autre dans l'écriture.

   

L'intuition, le temps, la présence. 

Le présent n'est rien s'il n'est pas présence.

La fuite des personnages de Lawrence, leurs crises, leur départs, sont des rejets d'un présent sans présence, l'effet d'une mémoire gangrénée, d'un pourrissement des forces créatrices. La vie au présent des mémoires déjà mortes n'est plus qu'un unique et morne bloc sensoriel, un monolithe d'ennui et d'insatisfaction, un étiolement qui ronge et ravage, une machinerie qui marque les heures de ses décrets frigides.

La rage et la colère de Lawrence veulent la métamorphose du quotidien. Le présent, comme simple insertion de la conscience dans la chronologie de nos habitudes, n'est qu'une automaticité à peine éveillée, le lieu indifférent où les routines se font sans nous. L'écriture de Lawrence lutte contre le temps chronologique de la simple succession des choses, qui n'est que la mise en ordre de l'avant et de l'après dans une représentation linéaire fausse et simplificatrice.

En particulier dans la forme plus courte de la nouvelle, Lawrence nous emporte dans une temporalité sans horloges. Les personnages qui s'enfuient se fichent pas mal de l'heure qu'il est. Car, ce qui pourra faire lien échappe à toute programmation. Chacun sent bien que le coeur du temps, sa substance, ses intensités, échappent à toute mesure.  Ce que scande le triste tic-tac de la répétition à heures fixes, c'est le temps qui passe et que nous ne retenons pas, c'est le pâle décompte des jours et des heures, c'est notre aliénation à une organisation du temps qui ne nous met plus en contact avec le pouls du monde mais avec les normes coercitives de la société. Les horloges sociales sont d'autres mots d'ordre, des diktats sans âme. 

Lawrence a en horreur le temps vécu comme une liste de choses à faire, le temps des engrenages, de l'inscription sociale. Car c'est un temps sans amour, sans lien, sans vie, la peau morte de la chair et de l'âme oubliées sur la route désaffectée du désir. Le temps social, devenu dans la modernité l'ennemi du vrai rythme de toute nature, insensible à la vibration du cosmos en chaque chose, lettre morte de ce qui s'égraine sous le scalpel de nos dissections chronologiques. Tout découpage du temps transforme la vie humaine en une succession d'usages, de tâches, en un "emploi du temps". La rationalité, que Lawrence exècre, ne réussit à ne conserver que le squelette d'un temps dont la chair et la substance n'ont plus droit qu'à de serviles prostitutions à heures fixes.  

Mieux que tout autre romancier, Lawrence déplore que la société occidentale ne sache plus relier entre eux les blocs sensoriels, la sensibilité humaine, les durées réellement vécues du temps humains, n'ayant plus pour seuls symboles du temps que les chiffres des dates et des heures que n'habitent plus aucun lien ni naturel ni symbolique entre les hommes. Les symboles du temps sont devenus si raisonnables qu'ils ne parlent plus du temps lui-même.      

Or, seul dure en l'homme le temps qui ne passe pas. Seul fait lien le temps de la durée, celui d'une présence réfractaire à tout oubli, qui s'ouvre en une naissance dans la mémoire. L'une des fonctions de la mémoire est de retenir et d'accueillir ce qui naît, ce qui va vivre d'une durée. La mémoire trie et rejette la triste répétition de nos non-actes pour nous aider à leur survivre. Voilà pourquoi nous vivons d'une vie intérieure même au milieu d'une activité mécanique, pour peu que notre attention ne soit pas trop mobilisée par la tâche à accomplir.  

Ici se fait jour l'étonnante proximité de la vision de Lawrence et de la philosophie de Bergson. Pour ces deux immenses écrivains, l'intuition est notre seul mode d'accès au coeur des êtres, elle-seule nous fait ressentir et participer à la démiurgie du cosmos, elle-seule nous place dans la durée, dans la présence même. Tandis que l'intelligence qui veut maîtriser, expliquer, réduire toute chose en éléments simple -espérant ainsi pouvoir tout reconstruire à partir de l'atomisation des choses- ne peut qu'échouer devant ses propres limites.

Dès ses premiers grands romans, Lawrence dit sa défiance à l'égard de l'intelligence et de l'esprit rationnel qui croit aux "explications". Tous ses personnages sentent à un moment donné que réfléchir ne les mène à rien, que la "solution" ne saurait provenir d'un raisonnement argumenté. Seules la vision, l'intuition, l'imagination, peuvent recoller les morceaux et montrer quelque chose comme une vérité dans une humanité dont la rationalité et l'organisation sociale ont fait d'elle un puzzle. L'homme est en quête d'une vision, d'une anticipation du lien, et les arguments ne lui servent à rien pour voir clair en son âme.      

Chez Lawrence, la présence n'est pas seulement une attention aux choses ou encore la "visée du monde" chère à la phénoménologie allemande de son époque. Tout au contraire, la présence est d'abord ouverture et disponibilité, mémoire et création. La conscience lawrencienne n'est pas un acte perceptif comme une visée ou comme une attention et  une concentration à telle ou telle chose, ce serait réduire la sensorialité large et multiple dont le corps est capable. Les blocs sensoriels, les vagues du présent qui peuvent envahir le corps ne sont possibles que pour un être disponible pour la réception et la quête de l'Autre. Cette sensibilité et cette quête sont l'intuition pure dont l'âme et le corps sont capables.

L'intuition s'imprègne, ressent, voit tout en un bloc de durée insécable, elle relie le passé au futur en une seule présence, en une flèche créatrice que décoche la mémoire pour faire lien avec les choses. Car c'est la mémoire de la durée vivante en l'homme qui se souvient et qui est en quête de création et de présence. Notre mémoire est le contraire d'un temps mort et révolu, elle est notre vie même en train de se faire. La mémoire, dit Bergson, est une durée capable de se différencier, mais qui depuis sa naissance fait comme une "boule de neige"  de tout ce qui vient la nourrir sur son passage. Elle s'augmente de toutes nos présences et le mouvement qui l'anime est l'intuition elle-même. L'intuition est l'anticipation de la présence, elle est l'encore de la mémoire qui a commencé à goûter et à désirer, elle est la quête du lien, le pressentiment de la saveur des choses, elle est ce que dit déjà la rencontre. Plus spécifiquement chez Lawrence, il y a une mémoire qui fuit et qui est sur le départ, et une mémoire qui se souvient vers l'ailleurs.

Dans toute l'œuvre de Lawrence, l'intuition est co-naissance de la mémoire vivante, individualisée et réceptive que nous sommes, et de la création continuée du cosmos dans notre présence. Nous vivons toujours à la dernière seconde de l'histoire de l'univers. L'univers partage les mêmes secondes que nous. Tout n'a jamais existé qu'au présent, c'est-à-dire dans le coeur où le monde se fait. La mémoire est la mémoire de toutes nos intuitions, elle est donc une durée non-linéaire, mais un enroulement sur nous-mêmes -car nous ne sommes que notre mémoire- des durées multiples de tous nos vécus qui ont commencé et dont le présent n'est que la pointe perceptive, la morsure en nous de l'éclosion du réel. La mémoire de notre vie est toujours entièrement présente dans nos intuitions, même si ce qui éclot dans l'ici et le maintenant de la rencontre n'est que l'une des durées qui nous traversent et nous constituent. 

Lawrence ressent que le cosmos n'a pas une seconde d'avance sur nous, que la vie du cosmos n'est pas chronologique mais organique, que nous sommes reliés et en phase dans une présence, une palpitation, qui est aussi la nôtre. Ressentir cette présence, c'est commencer à créer le lien. C'est pourquoi, chez Lawrence en particulier, l'intuition guide aussi notre désir, car elle est le rapport au monde de notre mémoire "corps et âme".

Tout l'art de Lawrence consiste à dire avec des mots le langage pourtant physiologique de la sensorialité éveillée de l'âme et du corps. La quête lawrencienne se nourrit de l'explosion renouvelée de la rencontre et de la présence. Son style et son écriture sont capables de rendre la vibration des êtres et du monde en nous montrant des hommes et des femmes qui reçoivent (ou échouent à recevoir) les flux rayonnants de la vie dont ils sont comme irradiés et transpercés de part en part, exposés nus, dans l'intuition sensorielle du monde.

Comme chez Bergson, le temps de Lawrence est ce qui fait que tout ne nous est pas donné d'un seul coup, qu'il est une imprévisible nouveauté, la création en train de se faire. La mémoire est notre entière individualité tournée vers l'attente et l'anticipation en faveur du présent. Nous sommes une mémoire, une durée, un temps non-linéaire qui désire dans les entrelacements de ses temporalités et de ses espaces. Lawrence repense la mémoire et la vivifie pour en faire une quête. Ses personnages en fuite ne sont donc pas sans mémoire, loin de là, mais ce sont des êtres qui voudraient ne plus regarder en arrière, des êtres dont la mémoire est tournée vers la vie présente. Pour Lawrence, en fouillant le passé des hommes et des femmes, en voulant seulement les expliquer et les comprendre dans leur réalisme à travers leur chronologie intimes, le romancier manque ce qui peut encore advenir de leurs mémoires vivantes et désirantes. Ce n'est pas leur passé à lui seul qui peut expliquer les hommes, mais les intuitions qu'ils conservent et leur capacité à créer du lien. Il appartient donc au romancier de montrer ce qui échoue -Lawrence s'y est beaucoup employé- mais aussi ce qui peut réussir. L'histoire d'un homme n'est pas sa biographie, mais son roman.    

l'âme et le corps. L'individu en quête d'union.

Pour Lawrence, partout où l'humanité a opéré une distinction radicale entre le corps, l'âme, l'esprit... mais aussi instauré une démarcation,  une frontière infranchissable entre l'homme et la nature, l'homme et la femme ne peuvent plus être ni pleinement eux-mêmes ni se sentir appartenant et communiant avec la nature. Lawrence est un défenseur de l'unité vivante de chaque être et un amoureux de la Vie qui pour lui est fille du cosmos. Toute coupure entre l'âme et le corps est donc pour Lawrence un artifice délétère, un mensonge proféré contre l'unité du vivant. 

La tâche du romancier, selon Lawrence, consistera donc à recoller les morceaux de l'homme éparpillé, et en particulier l'âme et le corps, le plus souvent considérés l'un sans l'autre, tant par l'héritage chrétien que par celui de l'histoire de la philosophie. Pour Lawrence, l'homme moderne souffre d'abord de cette dichotomie, de cette scission intérieure qui est comme une blessure faite en chaque homme par une culture morbide qui a toujours dénigré le corps. Réunir de nouveau ce qui a été artificiellement et criminellement séparé, voilà l'ambition littéraire de Lawrence.

Pour Lawrence, il ne saurait donc y avoir d'âme vivante et heureuse là où le corps n'est pas épanoui. Et  réciproquement, il ne saurait y avoir de corps épanoui sans l'accord avec l'âme. L'âme est la vibration immanente à un être, elle vibre avec le corps et au-delà du corps dans son appartenance au cosmos, tandis que le corps est la chair de l'âme, capable de jouir et de souffrir, le lieu où se vit l'intensité la plus intime, là où d'autres corps viennent, là où s'expriment les forces de la vie et de l'univers. L'âme et le corps sont deux modes de vibration d'un même être vivant qui ne peuvent s'épanouir en lui que dans leur harmonie. 

Lawrence accuse l'homme moderne d'avoir perdu ce qui le relie à la Vie,  en vendant la part de lui-même qu'il appelle son âme aux diables matérialistes et idéalistes. Car l'homme liliputien, misérable ventouse de la pieuvre sociale, s'en remet désormais à une intelligence calculatrice qui découpe le monde, et à la sacro-sainte raison régulatrice des comportements, qui suit les préceptes coercitifs d'une morale froide, dont n'émerge plus que l'avidité des intérêts individuels sous le paraître des masques sociaux.

Les personnages de Lawrence aliènent et rejettent le noyau vivant de leur unité à chaque fois qu'ils s'en remettent à l'intelligence, à un quelconque esprit, ou à une morale castratrice, et ils ne parviennent ainsi jamais au bonheur car ils sont incapables de vivre l'épanouissement du corps. En perdant son âme en ignorant qu'elle est le lieu de l'intuition du corps qui doit le guider en toutes circonstances, l'homme méconnaît et bafoue en réalité son corps, il le fait taire et le tient en laisse, en le rabaissant au rang mesquin, et parfois coupable, des petites jouissances hygiéniques. 

Or, l'homme ne se souvient qu'il est tout ensemble âme, vie et corps, que lorsqu'il ressent une aspiration, une quête, une communion  avec quelque chose qu'il ne peut ni nommer ni décrire, qui est simplement là, dans la présence, et qui le touche et le fait vibrer. L'âme ne peut être touchée que par la vie d'une autre âme, l'âme vivante ne peut aspirer qu'à une autre âme vivante.

Cependant, tant que le corps n'a pas vécu l'intensité de son plein épanouissement, l'âme déjà artificiellement séparée du corps par une culture mortifère demeure comme orpheline du lien avec les êtres. Elle se trouve alors condamnée à une errance faussement autonome, à laquelle les bonimenteurs de toutes espèces prétendent  pouvoir mettre fin, par l'abstinence, l'abnégation, la crédulité et le renoncement.

Or, l'âme qui a été isolée du corps ne parvient à mettre fin à son errance que lorsqu'elle vibre dans l'harmonie d'une âme proche, dans l'union sexuelle et assouvie des corps. Car pour Lawrence, c'est dans l'acmée du lien intense qui peut naître entre deux êtres que l'âme et le corps peuvent être de nouveau réunis, comme unités vivantes vibrant de leur vie propre et de la vie de l'autre.

Ce n'est donc que lorsqu'un être, dans son individualité et son autonomie, a réussi à se recoudre en un seul organe vivant, qu'il peut à son tour voir et accueillir l'autre comme un tout vivant. L'incommunicabilité des êtres que Lawrence décrit et déplore dans chacun de ses romans et nouvelles tient à cette fallacieuse dichotomie de l'âme, de l'esprit et du corps, aux jugements a priori et aux attentes préconçues que nous portons sur les autres. Nous les percevons alors comme des morceaux d'humanité disgracieux que les scalpels culturels et sociaux ont découpé dans la chair humaine, qui ne peuvent être alors qu'en conflit au sein de chaque individu et par conséquent avec l'autre, quel qu'il soit. Dans le rapport possible entre l'homme et la femme, seuls ceux qui parviennent d'abord à l'unité en eux-mêmes peuvent apporter aux autres  la force vivante et liante de leur unité. Pour Lawrence, aucun lien épanouissant ne peut naître de deux êtres  qui demeureraient disloqués. La quête du lien, la quête de l'unité, n'est pas celle d'un complément ou d'une remédiation, mais la vision partagée de l'unité que peuvent vivre deux individualités ayant dépassé la scission ou étant sur le chemin de ce dépassement.

Par où l'on comprend pourquoi Lawrence ne croit et ne s'adresse qu'à l'individualité pour espérer émanciper l'homme et la femme: la société est ce qui produit et encourage le découpage de l'âme et du corps, elle est le bras armé qui ensanglante le coeur des hommes en les privant de leut unité vivante, en les morcelant et en les opposant. L'humanité morcelée est docile et coupable à souhait, elle vit dans la crainte et le ressentiment. Seule l'individualité consciente de son unité vivante peut tenter de résister aux lacérations et aux laminoirs de la société.

L'amour qui échoue. La sexualité fondatrice du lien. 

De faux départs en faux départs, de crise en crise, arrivant à saturation, les personnages de Lawrence fuient vers un autre espace, vers d'autres lieux, d'autre âmes, d'autres moeurs. Il s'agit d'abord d'essayer une nouvelle liberté, de ne plus appartenir, de sortir de ce destin-là. Se libérer des faux liens, voilà l'affaire de toute une vie, voilà la trame des romans et nouvelles de Lawrence: comment les liens se nouent faussement, comment les hommes et les femmes deviennent incapables des seuls liens où ils pourraient s'épanouir.

Montrer que la quête du lien échoue toujours, (sauf dans Lady Chatterley), c'est d'abord montrer que l'amour échoue parce que la liberté humaine est toujours déjà engluée dans des relations inessentielles. La condition sociale de  l'homme et de la femme les condamne à être dès leur naissance des êtres pris et engagés dans des maillages inextricables avant même que de pouvoir commencer peut-être à exister un jour par eux-mêmes. La quête du lien est paradoxalement une quête de la non-appartenance, une quête du don et de l'accueil de l'autre. Se déprendre pour pouvoir se lier.

C'est pourquoi, chez Lawrence, l'amour brille le plus souvent par son absence tandis que le mot même est comme banni de son vocabulaire... Ce choix délibéré du romancier ne viserait-il pas justement à montrer qu'en matière d'amour entre les êtres humains, il s'agirait en réalité toujours d'autre chose? 

Dans la société des hommes rapetissés, l'amour ne parvient presque jamais à dire son nom ni même à en préciser tous les substituts et les faux-semblants. Car cet amour qui échoue peut prendre mille visages grimaçants, selon les convenances et le paraître, selon la force de la pression mimétique, suite à des promesses trop vite prononcées, à cause des peurs de tous ordres, de la solitude, du désir d'enfant, de la quête du sens, ou encore parce que l'accoutumance, ou la raréfaction de la liberté et du désir, ont pris sa place.

L'amour vient le plus souvent remplir trop vite une impatience existentielle, alors que l'homme ne sait rien de la femme et que la femme ne sait rien de l'homme. Il faut alors appartenir à celui ou à celle que l'on a pas désiré vraiment, et substituer ainsi à la quête du lien cet amour-là.

Or, ce n'est ni dans l'espace de la fuite, ni dans celui de l'amour-appartenance que peut surgir le lien unique qui advient dans la rencontre entre un homme et une femme, lorsqu'ils créent pour eux-deux leur durée sacrée, l'espace commun où s'accomplit le plein épanouissement de chacun.

Pour Lawrence ce surgissement rare est celui d'une sexualité épanouie. De nombreux personnages de Lawrence ne semblent plus ressentir l'attractivité des corps, la fuient, ou ne savent pas quoi en faire. Ceux-là semblent alors mus par des obsessions et des automatismes, ils paraissent éternellement hésitants et craintifs face au corps, quand il n'y ont pas renoncé. L'oubli de leur sexualité les place systématiquement dans des existences artificielles, dans un rapport aux autres faussé d'une manière ou d'une autre. Pour Lawrence, l'accès à l'authenticité passe par la connaissance du corps et par sa libre expression dans une sexualité épanouie. Celui dont le corps ne s'exprime pas, ne se vit pas, est dans l'inachèvement, il demeure en surface et ne peut rencontrer les êtres dans leur profondeur.

En dehors d'une sexualité pleinement et authentiquement vécue dans un abandon total à l'autre, les masques de la vie ne tombent jamais, et chacun joue alors le rôle qui lui sert de personnalité, chacun se raconte son histoire plutôt que de la vivre. Seule une sexualité vécue jusqu'à la découverte de soi et de l'autre révèle et donne la force indéfectible d'être soi. La sexualité est le lieu qui permet d'épouser enfin la vie sans artifice, elle est le lien vivant.

Dès ses premiers romans, Lawrence a été l'un des tous premiers à démontrer une très fine compréhension de la sensibilité féminine. Il comprend aussi mieux que quiconque la condition féminine et le rôle frustrant auquel la société l'astreint dans l'expression et la manifestation de ses désirs charnels. La morale phallocrate admet que la femme puisse être désirée, mais elle condamne la femme qui désire. Pour les religions et les sociétés phallocrates, le désir féminin est toujours coupable, et Lawrence s'insurge contre cela en en montrant le caractère tout aussi naturel que chez l'homme.

Lawrence a été capable d'écrire à partir de la sensibilité et du regard de la femme, comme s'il avait été femme lui-même, non seulement en exprimant toute la richesse de l'âme féminine et de ses nuances, mais aussi en nous faisant vivre à partir de l'intériorité même de la femme, le rapport que la femme entretient avec l'homme. Toute l'œuvre de Lawrence vise en définitive à montrer que l'homme est orphelin de la femme et que la femme est orpheline de l'homme.

La première difficulté dénoncée par Lawrence est celle de l'expression du désir féminin dans une société phallocrate et puritaine. Lawrence a à coeur de décrire comment les femmes ressentent très naturellement l'attirance des corps et combien elles souffrent de ne pouvoir le dire aussi librement que les hommes.

La seconde difficulté est celle du droit des femmes à pouvoir disposer de leur corps et de sa jouissance, ce qui implique la reconnaissance et l'acceptation du plaisir féminin. Lawrence déplore que la morale et les clichés sexuels fassent de la femme un objet de désir, un moment de consommation masculine, une passivité subie, un corps qui obtempère. Et même lorsque l'homme profite bien agréablement d'une femme sexuellement active, cette activité elle-même lui paraît le signe de quelque lubricité, d'une emprise démoniaque. Car la femme qui recherche le plaisir dans la relation sexuelle ne saurait être entièrement fiable, entièrement mère lorsqu'il le faudra. Voici le terrible jugement qui s'abat sans cesse sur le coeur des femmes, voilà leur condamnation, leur castration et leur emprisonnement.

Il s'agit donc pour Lawrence de réhabiliter la légitimité naturelle du désir et du plaisir féminins en faisant de l'homme et de la femme des égaux dans l'expression de leurs désirs comme dans l'acte même de la relation sexuelle.

D'une part, la sexualité masculine ne s'élève pas au-dessus de la bestialité si elle ne rencontre pas la sensibilité et le désir féminin, d'autre part, la femme ne peut vivre pleinement son plaisir et son désir qu'en s'abandonnant totalement dans la relation sexuelle. La femme est toute entière sensibilité et cette sensibilité recherche l'abandon et la confiance, dans l'intuition que son désir a trouvé dans un homme le lieu de son expression. 

Dans la quête du lien qui se concrétise dans la relation sexuelle épanouie, il y a donc encore à fuir la bestialité, la soumission, l'automatisme, l'égoïsme, la morale, la peur, les regards faux sur la femme et aussi parfois sur l'homme.

Conquérir l'animalite vivante du lien, là où l'homme et la femme se rejoignent dans leurs désirs, égaux et confiants, abandonnés l'un à l'autre. Voilà le lien, voilà la quête la plus aboutie. Une quête, un désir, qui ont tant d'ennemis et d'obstacles à franchir.

Mellors et Connie (Chatterley) partent de presque rien. Leur première fois n'est qu'une relation sexuelle dans laquelle l'homme n'est que pauvrement homme et où la femme n'est pas encore femme. Mais une trace a été faite, un désir s'est immiscé, une confiance a fait naître un tout premier lien. Une femme naîtra à elle-même, un homme se vivra enfin comme pleinement homme. Mellors et Connie sont a priori très différents, rien n'aurait dû les rapprocher. Mais leur sexualité a touché leur noyau authentique, leurs âmes se sont reconnues dans leur animalité la plus profonde, une source intarissable s'est ouverte.

Point d'amour platonique chez Lawrence, toute attirance est légitime. La sexualité s'essaie librement, se tonifie et s'enrichit à deux. Ce n'est pas l'amour qui conduit ici à une sexualité épanouie, mais c'est une sexualité assouvie qui peut conduire à l'amour et le révéler. Il s'agit d'une élévation de l'homme et de la femme dans un corps à corps, et à travers eux d'une rééducation possible de l'humanité: faire de la sexualité le lieu où l'homme et la femme combattent ensemble ce qui les a toujours séparés dans l'histoire qui mène à l'homme moderne. La sexualité comme source et origine d'une nouvelle foi en l'autre, l'enracinement d'une nouvelle humanité dans la vie épanouie du corps vécu à deux.

Pour Lawrence, toute sexualité est profondément asociale dans son désir, parce que, contre la société, elle est en réalité fondatrice de tout vrai lien entre les hommes et les femmes. Contre Freud, Lawrence pense que la sexualité ne menace rien. Au contraire, elle ouvre, elle crée, elle est le lieu à partir duquel s'organisent tous les autres mondes, le seul lien véritablement religieux entre les hommes et les femmes. La sexualité n'est pas ce qui menace l'humanité et ses cités, mais ce qui les fonde.

Dans le départ lawrencien, il s'agit aussi de fuir un lieu où la sexualité est devenue impossible, un lieu où la sexualité s'est absentée, un lieu où la sexualité n'a pas fonctionné, un lieu où elle a été oubliée.  

Le lien comme vision (l'art et le symbole); le lien sacré (rites et mythologie). Le roman comme art de la vie, comme quête du lien.

La pensée lawrencienne n'est jamais conceptuelle, elle est symbolique. Son rapport religieux au cosmos et à la vie ne recherche aucun ordre transcendant: tout est immanent, tout est présent. Comme chez Nietzsche, l'éternité est de ce monde, il n'y a rien en dehors de la vie du cosmos.  La mythologie de Lawrence chasse les faux dieux (Le Serpent à plumes) et ne célèbre que les dieux vivants du lien présent et réellement vécu.      

Certes, l'homme est immédiatement lié à la terre, au cosmos, à la vie (que l'on songe à la nouvelle "Soleil" qui est un hymne au soleil, l'histoire du rapport charnel qu'entretient le corps d'une femme avec l'astre de vie), seulement ce lien a été occulté par l'histoire occidentale qui n'a laissé pour seul héritage que les formes usées et les symboles moribonds d'une culture que Lawrence juge morbide, décadente, affadie, essoufflée. Les symboles du rapport primitif au monde et au cosmos ont été recouverts d'une couche putride qui est celle de la décomposition du monde et de l'homme. Lawrence condamne toute culture qui se repaît de la dislocation de l'homme, de son morcellement, de son écartèlement. Il refuse la dissection de l'âme et du corps, leur désunion, leur description digne d'un médecin légiste.

Bien au contraire, les symboles doivent nous parler de nos dieux, de ceux que nous rencontrons en nous comme repères et guides éternels de nos désirs et de nos sentiments, tandis que l'art doit parler au moi unifié d'un homme qui ne serait plus morcelé et comme dissout dans ses scissions, en favorisant la conscience de l'unité du moi, de son individualité, de son caractère unique. L'art est ce qui dit à la fois l'universalité et la singularité du lien: tous les hommes nourrissent des liens avec la vie et le cosmos, mais chaque lien est unique et personnel. L'art est le moment de la vision claire du lien: comme d'autres, je suis en lien immédiat avec la beauté et la vérité de ce que j'éprouve, mais ce sentiment est le mien, c'est mon lien. Là où pour Nietzsche, "l'art est une séduction en faveur de l'existence", sans doute convient-il de dire avec Lawrence que l'art est la vision du lien sacré de l'homme avec ce qui lui est essentiel. Lawrence nomme "lien parfait" ce que l'art permet d'atteindre comme moment d'éternité. L'éternité est pour Lawrence ce qui, dans la mémoire de l'homme, ne meurt pas. Ce qui ne meurt pas, c'est le lien devenu vision ou symbole. Vivre le lien, c'est vivre ce qui ne passera pas dans le temps qui passe, parce que le lien vient dans la mémoire constituer le moi qui compte, celui que nous sommes authentiquement. Certes, Lawrence défend la spécificité de l'ici et maintenant du lien. La rencontre ne dure pas, elle est par essence éphémère et concrète. Une rencontre, un désir, une attirance succèdent à d'autres, mais les liens établis dans la mémoire avec la vie et le cosmos perdurent comme éternité de l'individu. Ce que nous sommes au plus profond de nos êtres, notre individualité, ne dépend pas du temps qui passe mais de celui que nous avons retenu et qui a tissé nos liens.    

Pour Lawrence, il n'y a donc aucune discontinuité entre le symbole et l'art. Tout symbole est déjà art, vision, lien, tandis que l'art perd son âme dès qu'il n'est plus le symbole possible d'un sentiment ou d'une émotion positive. L'art qui "dérange", l'art qui bouscule nos repères, l'art subversif, tout cela n'importe à Lawrence que dans la mesure où cet art est encore capable de servir la vie, c'est-à-dire de faire lien avec l'homme. L'art doit bien sûr être lui-même vivant et évoluer, il est porteur de sa propre histoire et de ses aspirations, mais tout art qui rejette l'homme dans une singularité absurde, qui le rend orphelin du vivant et du cosmique, est un art qui désagrège l'âme et la condamne à la solitude métaphysique. Comme le symbole, l'art doit unir, et il se fourvoie lorsqu'il désunit et morcelle.

Les symboles et l'art lawrenciens sont en définitive des hymnes au désir de vivre, dans chaque ici et maintenant, les liens profonds que l'homme peut nouer avec les êtres dans l'harmonie du cosmos (Lawrence était extrêmement fier des hymnes qu'il a écrit pour le Serpent à plumes). L'homme est vie, la chair est vie, l'art et le symbole sont vie, le cosmos est vie.

Selon les catégories chères à Deleuze, le plan d'immanence de la pensée de Lawrence n'a besoin que de la seule verticalité de la voûte céleste: tous les liens se font dans ce monde-ci. Les dieux n'habitent pas dans une transcendance au-dessus de nous, ils sont en nous et autour de nous. Les symboles nous parlent de nos dieux et nous pouvons être en contact avec eux à la condition d'être dans l'intuition et la vision du lien.

Certes, le lien entre l'homme et la femme est le plus fort et le plus important de tous parce que la sexualité, dès lors qu'elle s'accomplit dans la richesse et la communion des êtres, est le lieu où le lien se fonde et s'épanouit. Mais le lien entre l'homme et la femme doit lui-même être exprimé au sein de la totalité à laquelle ils appartiennent. L'homme et la femme n'ont pas rapport qu'à eux-mêmes, ils entretiennent également un rapport physique à la réalité, Ils vivent aussi leurs liens physiques au monde et peuvent connaître d'autres immédiatetés que celle de la sexualité.  Aussi, ce qui favorise l'union des âmes, ce qui précède, sublime et prolonge la relation charnelle et lui donne sens dans la vie et la société des hommes, ce qui dit l'harmonie de l'homme et du cosmos  et qui correspond à l'accord possible entre l'homme et la femme, ce sont les symboles de l'immédiateté des rapports et des liens entre l'homme et le monde: là sont l'éternité et le sacré tels que les conçoit Lawrence.  

Il conviendra donc selon Lawrence de repenser la société des hommes du point de vue des liens physiques de l'homme avec le cosmos et de leurs expressions possibles dans l'art et le symbole. La quête du lien est entravée et échoue parce que la société ne s'organise pas autour des liens et des besoins naturels de l'homme. Il faut donc que la société honore le lien et qu'elle le place au centre de son organisation, de son espace et de sa temporalité.  Lawrence sait bien -toute son oeuvre le montre- que rares sont les hommes en capacité de vivre le lien d'abord pour eux-mêmes et que la principale raison de la cécité humaine vient de l'occultation des vrais liens par les forces coercitives de la société, de la morale et de l'éducation. C'est pourquoi Lawrence pense aussi la métamorphose du social et du religieux, en particulier dans Le Serpent à plumes, tout en s'intéressant passionnément à des cultures plus originelles (notamment les Etrusques et les civilisations précolombiennes), thème qu'il reprendra avec beaucoup de force dans la nouvelle "La femme qui s'évade." 

Aussi Lawrence conçoit-il l'art et le rite comme porteurs d'une mythologie à la fois originelle et archétypale, capable d'amener le groupe humain à ressentir de nouveau les liens primordiaux. Et cette mythologie a pour nouveaux dieux les liens sacrés et éternels qui relie non seulement l'homme et la femme mais aussi l'homme et le cosmos. La lecture du Serpent à plumes est à ce titre tout à fait décisive pour quiconque veut comprendre l'extraordinaire complétude de la vision lawrencienne.

L'art et le rite sont donc pour Lawrence des sources inépuisables d'énergies et de liens collectifs, des formes catharciques de la sensibilité de l'âme et du corps. En perdant le sens et la pratique du rite, l'humanité s'est détournée de l'hommage sacré à la vie, elle a perdu la capacité à dire l'intimité des hommes entre eux, à dire leurs liens. C'est dans l'intimité des hommes que se vit l'intuition du sacré et, pour Lawrence, l'art et le rite sont les formes de cette intuition.

Même si Lawrence sait que la peinture est l'art de la vision parfaite des liens de l'homme avec toute chose -il s'y adonne d'ailleurs non sans un certain talent- il lui préfère néanmoins la littérature, et en particulier la nouvelle et le roman, parce que l'écriture lui semble le seul art en capacité d'épouser la liberté elle-même. Ce qui intéresse par dessus tout Lawrence, c'est sa quête des individus vivants, c'est de laisser venir dans l'écriture la liberté mouvante et indécise des trajectoires humaines, l'histoire des liens qui se tissent, qui échouent, mais qui disent toujours une certaine vérité et une certaine éternité de l'homme.

Dans l'oeuvre de Lawrence, c'est toujours la liberté et la vérité qui s'aventurent, à la recherche des liens, échouant le plus souvent sur les rocs de l'impossible, dont les romans et les nouvelles de Lawrence sont la dénonciation. Pour Lawrence, le roman est d'abord vie, une vie réfractaire au concept comme à toute vision figée du monde. L'écriture lawrencienne est une peinture en train de se faire et qui ne recherche jamais la forme parfaite de l'achèvement. Car dans tout récit subsiste encore la liberté des liens qui auraient pu être. Tandis que le concept ne sait rien de la vie qui palpite dans l'intime, "le roman est la plus haute forme d'expression humaine parce qu'il est réfractaire à l'absolu". (Lawrence)

Le roman est l'art le plus libre car il exprime l'aventure de la vie elle-même. Là est l'autre lieu du départ lawrencien, celui d'une imagination et d'une créativité qui paraissent sans limites. Lawrence explore l'archipel des vies possibles comme il découvre le monde sans jamais parvenir à satiété. Lawrence s'est nourri toute sa vie de l'imprévisible nouveauté de l'écriture, seul lieu où l'imprévisible répond au désir d'ailleurs de l'écrivain. Lawrence a eu autant besoin de l'imprévisible en dehors de lui, celui des rencontres, que de l'imprévisible en lui-même, car seule l'intériorité de l'écrivain pouvait compenser la rareté des rencontres qui comptent vraiment dans une vie.

Le but ultime du roman chez Lawrence, c'est de faire émerger le caractère sacré et inviolable des individualités, des âmes et des corps, et d'inventer un cheminement vécu parce que symbolique, symbolique parce que vécu, de leurs unions avortées ou plus rarement réussies. Là où l'art, le symbole, le rite, disent l'éternité des liens, le roman dit la vie elle-même dans son imprévisible surgissement. Il faut donc à la fois dire à l'humanité ses liens sacrés et primordiaux et lui montrer l'aventure des liens, leur naissance possible pour chaque individu. L'oeuvre de Lawrence trouve donc un équilibre et une voie propre dans l'univers imaginaire et symbolique: d'une part la description des liens de l'humanité avec l'éternité de la vie et du cosmos, d'autre part la quête des liens intimes de chacun. Mais cet équilibre de l'oeuvre se nourrit de toutes les tensions littéraires singulières propres à chaque aventure, à chaque personnage, celles du désir, de la quête et de leurs incertitudes.

Contre toute vision absolutiste de l'art, la fiction de Lawrence dit ce qui réussit et ce qui échoue afin que le chemin lui-même montre l'imprévisible nouveauté, la rencontre inattendue d'un futur qui ne peut ni être programmé, ni théorisé, ni même espéré. Lawrence montre une voie pour chacun, il dit aussi une prophétie pour l'humanité: là où le désir s'atrophie, là où les liens primordiaux ne peuvent qu'échouer, là n'est pas l'aventure humaine digne d'être vécue.

Aussi l'art de Lawrence nous rend-il visionnaires non d'une quelconque société utopique, non d'un mysticisme éthéré qu'il faudrait vivre en marge de notre misérable monde, mais visionnaires de nous-mêmes, dans le présent concret que nous pouvons décider de vivre tel qu'il se présente au plus profond des êtres et que nous ressentons parfois sous leur surface lumineuse.

   

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