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Histoire du cinéma #27 : L'assomption de la femme au cinéma chez Griffith (The Gibson Godess -1909)

Dans la plupart de ses chefs-d'oeuvre, le ou les personnages centraux du cinéma de Griffith sont des femmes (Broken Blossoms -1918 ; Way don East -1920 ; Orphans of the Storm -1921). C'est avec Griffith que Mary Pickford et Lilian Gish deviendront les deux plus grandes actrices du cinéma muet. Mais dès ses tout premiers films, Griffith a l'intuition que la femme aura une place centrale dans l'histoire du cinéma, et qu'à quelques exceptions près il ne saurait y avoir de grands films sans que leurs scenarii ne fassent la part belle à un ou plusieurs rôles féminins. 

On sait comment il réussit à imposer à la Mutoscope and Biographe Company la présence de son épouse Linda Arvidson dans chacun de ses premiers films puis, très vite, à ses côtés, celle de Florence Lawrence, qui devint grâce à lui la première "star" de l'histoire du cinéma. Florence Lawrence et Linda Arvidson tournèrent donc ensemble un grand nombre de films sous la direction de Griffith.

Mais pour autant, si Griffith est un lanceur d'étoiles dans le firmament du cinéma, il ne fait pas de la femme à l'écran une pin-up, une femme fatale, ou une blondasse qui n'aurait pour elle que ses formes aguicheuses. Cela ne fait pas partie de l'univers dramatique de Griffith. Avec Griffith, les femmes sont d'emblée sensibles, intelligentes, en souffrance, aimantes, désirantes, combatives et bien sûr capables de faire et de défaire le destin des hommes, ou de succomber sous leur violence.  Elles tiennent donc le plus souvent le premier rôle, et ses films sont d'autant meilleurs que c'est bien le cas. Il n'est donc pas excessif de dire que Griffith est un défenseur des femmes et qu'il contribuera à leur émancipation et à la modification du regard que les hommes porteront sur elles.    

A ce titre, particulièrement intéressant est The Gibson Godess -1909, dans lequel le rôle principal a été confié à Marion Leonard (elle tournera près de 40 films sous la direction de Griffith). Le thème de ce court-métrage est tout à fait éclairant à la fois du positionnement de Griffith par rapport à la naissance de la pin-up américaine -qui ne s'appelle pas encore comme ça- et de l'influence de la "mode" qui allait faire de la femme, des pieds à la tête, l'objet du désir des couturiers, des illustrateurs, des publicitaires, modifiant du même coup profondément l'univers fantasmatique masculin. Il ne nous appartient pas de discuter ici des vertus et des dommages de la transformation de l'image de la femme à travers le cinéma, mais l'on notera tout de même que la dérive souvent dénoncée de nos jours vers la femme-objet a longtemps été précédée -en particulier dans le film noir hollywoodien- par la mise en valeur de l'élégance, de la classe, du style et d'une beauté qui s'accompagnait d'un respect qui n'est plus de mise aujourd'hui. Fermons la parenthèse.

 A partir de 1897, et durant les premières années du XXème siècle, la "Gibson Girl", inventée et dessinée par Charles Dana Gibson incarna la silhouette de l'idéal féminin américain, fixant des canons de beauté précis pour les femmes : formes généreuses, taille de guêpe avec corset (wasp waist), coiffure chignon ou "à la Pompadour". Le film de Griffith imagine l'une de ces Gibson Girls débarquant en Province au bord de la mer et soucieuse d'y goûter un peu de repos et de solitude... A partir de ce simple motif, Griffith s'en donne à coeur joie pour montrer tour à tour : la jalousie des femmes (celle des hommes viendra), la bêtise et la monotonie standard du désir masculin (les hommes sont montrés tels des mouches avides), l'ambiguïté de la séduction féminine (je veux être séduisante, hautaine, inaccessible mais en même temps être irrésistible sans pour autant être sollicitée à tout bout de champs...), la capacité de la femme à choisir un homme différent (mais en l'occurrence un peu plus benêt que les autres...). Tout cela avec un humour qui détonne un peu dans la production cinématographique de Griffith. Une merveille d'intelligence qui positionne son cinéma dans un regard critique sur les ancêtres de la pin-up dans la culture américaine.

The Gibson Godess -1909https://youtu.be/0NXf4InbtRs

L'actrice belge Camille Clifford est le plus célèbre modèle de la Gibson Girl.

Histoire du cinéma #27 : L'assomption de la femme au cinéma chez Griffith (The Gibson Godess -1909)
Tag(s) : #Cinéma, #Mode
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