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Joseph-Benoît Suvée (1743-1807) -peintre

L'invention du dessin (1791)

 

La robe de la jeune femme amoureuse est blanche comme la source de lumière qui éclaire la scène. Cette lumière est celle de l'amour qui traverse les personnages et les métamorphose pour devenir l'ombre qui révèle. Les deux corps sont dans une position d'entraide qui est celle de la recherche d'un équilibre. Le bras gauche de la femme témoigne d'une instabilité pourtant maîtrisée et de l'application de tout son corps, tandis que le mouvement d'ensemble de la femme qui s'élance en s'appuyant sur la pointe de son pied gauche, atteste d'un déséquilibre vers l'avant, comme s'il s'agissait pour elle d'effectuer ce dessin sur un point de bascule, le point-levier étant précisément le corps assis et stable de l'homme.

Les bras de l'homme s'efforcent de stabiliser l'équilibre du corps de la femme. Les gestes de l'homme sont gouvernés par un regard scrutateur tout entier attentif à favoriser l'extrême concentration de la femme, et par là-même, la réalisation de son geste. Il faut être deux, et il faut cet équilibre, cet élan et cette retenue pour que le corps de la femme et celui de l'homme fusionnent, ne faisant plus alors qu'une ombre à deux têtes.

Cette ombre en un seul corps possède deux têtes qui regardent dans la même direction. L'ombre du visage féminin n'est pas dessinée avec précision, son profil n'est pas découpé. Il incarne la forme éternelle de l'élément féminin, la source divine de toute paix, une Vénus protectrice sans yeux ni nez ni bouche. La femme génitrice et protectrice de tout amour.

Le visage de l'homme est dessiné dans sa particularité; c'est cet homme-là que la femme aime, c'est cet homme-là qu'elle crée en le dessinant, comme s'il sortait de son propre corps, à partir de l'une de ses côtes, en une excroissance et un enfantement de l'amour en elle. 

Pline l'Ancien est le premier a avoir décrit le geste du dessin comme la tentative de vouloir saisir, conserver, et immortaliser l'amour de celui ou de celle qu'on dessine. (Livre XXXV des Histoires naturelles)

Aussi Joseph-Benoît Suvée nous rappelle-t-il, dans le génie extraordinaire propre à ce tableau, que l'invention du dessin doit être comprise comme amour. Il est en effet bien rare que l'homme prenne l'envie de dessiner ce qu'il n'aime pas, et l'on peut penser que les premiers dessins humains étaient d'abord le geste et le signe de leur amour pour ce qui les faisait vivre.

Du dessin à la caresse, il s'agit d'immortaliser le souvenir du corps, là pour les yeux, ici pour la main et la peau. Aller jusqu'à la frontière du déséquilibre, se saisir du point de rupture et le maîtriser, afin que le geste soit la source du corps à deux têtes de l'amour.

Joseph-Benoît Suvée (1743-1807) -peintre
Joseph-Benoît Suvée (1743-1807) -peintre
Tag(s) : #Peinture, #Philosophie, #Préhistoire
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