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Lucas Van Leyden (1494-1533) -Peintre

Même si le jeu d'échecs et ses règles ont beaucoup évolué, nous ne voyons rien de cohérent dans la position des pièces et des pions. Nous croyons qu'il ne faut pas trop chercher de ce côté. Le plateau de jeu est manifestement une allégorie et s'il s'agit d'une allégorie de la rencontre amoureuse, c'est que l'amour bourgeois a ses règles. Le plateau de jeu ressemble à quelque place centrale d'une grande ville où les êtres humains y joueraient leurs coups, tandis que leurs destins s'y scelleraient à chaque nouveau déplacement, à chaque nouvelle décision, un destin fait de hasards (complexité, rencontres, choix, opportunités...) et de nécessités (règles sociales, limitations humaines, adversités, passions...)
Il n'est évidemment pas indifférent qu'une femme (appliquée et concentrée) y affronte un homme qui se sait soit perdu, soit intéressé par d'autres enjeux...
Quant aux autres personnages, ce qui est frappant c'est leurs regards, qui sont justement des regards intéressés par la vie sociale et par ce qu'ils pensent pouvoir y trouver. Ce sont des regards qui connaissent les règles de la conversation et celles de la société, des regards qui connaissent les enjeux. Leurs yeux parlent des mots mêmes qu'ils prononcent et observent scrupuleusement les codes des situations qui les intéressent. Les yeux, les mots et les silences sont les pièces d'un autre jeu d'échecs.
Et tandis qu'une drôle de partie s'engage entre un homme et une femme où l'on peut penser que les victoires et les défaites n'y seront pas celles que chacun craint ou espère, et où se jouent l'affrontement du désir, de la loi, de l'argent, du "rang" et du mariage, le macrocosme social des bourgeois n'en est que l'agrandissement, une représentation par un changement d'échelle dans laquelle chacun croit jouer sa partie par d'autres ruses, d'autres stratégies, mais soumis aux règles du hasard et de la nécessité. Comme le désir lui-même qui joue ses coups, mais sans sortir des cases, sans quoi il ne s'agirait plus de désir. Le désir naît sur l'échiquier social, et les grands écrivains ont bien montré ce qu'il en coûte à ceux qui se trompent d'échiquier.  
Et il est bien normal qu'à l'exception de deux hommes qui semblent commenter la partie à voix basse et d'un troisième qui conseille peut-être paternellement la jeune femme, les autres personnages soient pris dans d'autres calculs (on calcule beaucoup en jouant aux échecs). Il s'agit avant tout d'une scène de ville, comme on en trouverait aussi bien sur un marché ou dans un salon proustien. Mais la partie elle-même est le lieu qui concentre toute la scène sociale et l'explique : une allégorie.
Une autre façon de dire aussi que le mariage bourgeois n'est pas seulement une partie de désirs, ni une partie de plaisirs. Mais alors? si la vie sociale et maritale consiste à gagner ou à perdre, qu'est-ce à dire?

Les hommes ont l'avantage des pièces blanches mais ont le visage sombre, les femmes de Lucas Leyden sont célèbres pour leur blancheur illuminée et elle paraissent en capacité de triompher avec les pièces noires. Mais il faut encore que la partie soit publique et que la rivalité soit le jeu social lui-même. Il est probable que là où les hommes et les femmes ne sont pas en droit de rivaliser entre eux, entre elles, et entre eux et elles, d'autres jeux se jouent. Car ce n'est pas la même chose d'essuyer une défaite que de ne pas avoir le droit d'accéder au plateau du jeu. Au-delà donc de la critique sociale, retenons que la scène du jeu d'échecs de Leyden ne semble pas contraire aux intérêts des femmes qui y sont représentées : la lumière vient d'elles. La reine est la pièce du jeu la plus puissante, tandis que le roi y est si vulnérable.   

Tag(s) : #Peinture
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